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l’« assentiment royal, » avant qu’il ait été soumis au corps électoral par les ministres radicaux ou, à leur défaut, par un cabinet conservateur. M. Bonar Law se borne à une allusion discrète, lorsque, à Edimbourg, au mois de janvier 1913, il demande à ses auditeurs de « supposer que le Home Rule Bill soit soumis au souverain, afin de décider s’il aurait ou non force de loi, » et il ajoute : « Quoi que le Roi fasse, la moitié de son peuple pensera qu’il a failli à son devoir. » Ses collègues sont moins discrets. « Le Roi aura, à n’en point douter, un mot à dire dans cette affaire ! » s’écrie l’un d’entre eux. « Ne pouvons-nous pas espérer, que le monarque exercera son droit certain et dissoudra le Parlement [1] ? » ajoute un autre. Sir Edward Carson « se refuse à croire que, sous un pareil Roi, » ses amis de l’Ulster « puissent être jetés de côté [2]. » Sir William Anson, au mois de septembre 1913, avec la compétence d’un professeur de droit constitutionnel, affirme que George V peut, si sa conscience l’exige, empêcher l’application du Parliament Act et l’éclosion d’une guerre civile, exiger une consultation populaire et dissoudre les Communes radicales.

Au mois d’octobre, le Roi se décide à intervenir, mais d’un geste moins brutal : il sait manier la barre et éviter les à-coups. Sous son inspiration, lord Loreburn, hier encore collègue de M. Asquith, publie dans le Times un appel à la conciliation et l’esquisse d’une transaction. Profitant de l’émoi général, George V avise l’un de ses conseillers que, « si on lui demande de donner son assentiment au Home Rule Bill, il enverra au Cabinet une protestation écrite, qui sera soumise à l’examen des ministres et qu’il se réservera le droit de rendre public ultérieurement ce memorandum. » Si des collègues de M. Asquith se prononcent ouvertement en faveur d’une solution pacifique de la crise irlandaise, et si le premier Ministre accepte, à la fin de l’automne 1913, d’entrer confidentiellement en pourparlers avec les leaders conservateurs, comment ne point admettre que la communication royale a provoqué une heureuse évolution ? On affirme même que George V servit d’intermédiaire entre les adversaires et facilita l’échange de documens. Ces négociations secrètes échouèrent. Elles eurent, du moins, pour résultat de mettre le Cabinet dans l’obligation morale et politique

  1. M. George Cave (septembre 1913).
  2. M. H. M, Campbell à Carlton House Terrace (déc. 1913).