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pour moi. Ayez la bonté de m’informer de ce que vous faites et songez que tout mon repos dépend de vos manières. »


Sophie-Dorothée reçoit, de Konigsmarck, une lettre dont le charme est rompu par l’aveu qu’il lui fait d’avoir été souper chez la Platen. La princesse ne veut pas se souvenir que c’est elle-même qui a ordonné à son amant de continuer, par prudence, des relations si cruelles pour elle ; mais ses reproches revêtent une telle tendresse d’expressions qu’on leur pardonne de manquer de logique et de justice :


« 9/19 juin, vendredi à 1 heure après minuit.

« Je ne m’attendois point à recevoir si tost de vos nouvelles. Jugez de la joye que je viens d’avoir en recevant un gros paquet de vous, mais ma joye n’a pas duré longtemps. Si le commencement de vostre lettre est charmant, la fin est bien différente. Je vous aurois écrit quand je ne l’aurois pas reçue, je n’ai de plaisir qu’à vous faire souvenir de moi, et je n’aurois pu me coucher sans vous assurer encore de ma tendresse et de ma fidélité. Je suis accablée de ne vous point voir, mon chagrin augmente à tous momens, tout ce que je vois me déplaît et m’ennuye, et tant que je ne vous verrai point, je ne dois pas espérer de soulagement à mes maux. Je ne sais pourquoi je vous dis tout cela, vous n’estes point de mesme, et vos actions ne me le font que trop connoistre. Je ne suis point contente de vous, et le souper de la Perspective me perce le cœur...

« J’évite tout le monde, je ne parle à personne, je me fais des scrupules sur les moindres bagatelles, et à peine suis-je partie, que vous oubliez tout ce que vous m’avez promis et que vous vous consolez avec des dames qui me haïssent mortellement. Non, rien ne peut vous excuser, et rien au monde n’est si désobligeant. Vous aviez mille prétextes pour vous en défendre ; cependant vous y avez esté. Les réflexions m’accablent, et si vous saviez tout ce qui me passe par la teste, je vous ferois pitié. J’estois charmée de vous et de vostre tendresse, je me trouvois plus heureuse que la reine de l’Univers d’avoir un amant comme vous, je me flattois de n’avoir rien à craindre, et voilà, tout mon repos troublé. Je tremble pour l’avenir. Que sera-ce, grand Dieu, dans quelques mois, puisque le mesme