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pris aucun soin pour le cacher. Je suis tout à fait remise de celui que j’ai eu contre vous. J’ai encore lu vostre lettre. Il me paroist que vous avez envie de vous justifier et que vous souhaistez que je sois contente de vous. Cela suffit pour que j’oublie tout... Je conviens que, dans le fond, ce n’est qu’une bagatelle et qu’il y a mesme beaucoup de prudence à faire ce que vous avez fait, mais c’est justement ce qui m’a désespérée, car je voulois que vous fussiez si affligé, que vous ne fussiez capable de raison. Voilà Testât où j’ai esté, et je veux que vous demeuriez d’accord que ma tendresse est infiniment au-dessus de la vostre. Songez, je vous en conjure, si vous ne partez point, à tout ce qui pourra nous approcher l’un de l’autre. Il y a huit jours aujourd’hui que je vous ai quitté. C’est vous dire que depuis huit jours, je me suis arrachée à moi-mesme, et que depuis ce tems-là, je n’ai pas eu un moment de tranquillité. Vous estes bien tendrement et bien véritablement aimé, et je défie tout le monde ensemble d’aimer comme je le fais. »


La pauvre femme est tellement aveuglée, qu’elle ne soupçonne pas les pièges tendus par sa belle-mère ; celle-ci, en lui parlant sans cesse de Konigsmarck, espère que ses réponses trahiront sa passion.


« L’Electrice me parle de vous toutes les fois que je suis avec elle à la promenade, car je vous ai mandé que je suis toujours seule avec elle. Je ne sais si elle le fait par tendresse pour vous, ou pour me faire plaisir. De quelque manière que ce soit, elle m’en fait beaucoup, et je ne peux mesme entendre nommer vostre nom sans un transport dont je ne suis pas la maîtresse. Il n’y a pas de bien qu’elle ne me dise de vous, et elle vous loue avec tant de plaisir, que si elle estoit plus jeune, je ne pourrois m’empêcher d’en estre jalouse, car tout de bon, je crois qu’elle a tendresse de cœur pour vous. On ne peut m’en tesmoigner davantage qu’elle le fait, et mesme j’en suis incommodée. Elle vient de m’envoyer dire de venir promener avec elle, et elle m’oste par là le plaisir de vous entretenir, qui est le plus grand de ma vie quand je ne suis point avec vous. Si je pouvais un jour vous voir à mon aise et ne vous quitter jamais, je crois que je deviendrois folle, car la vie que je mène me paroist insupportable. Flattons-nous d’un changement heureux