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pour nous qui, de dix heures à cinq, sommes restés enfermés dans l’église des Invalides, en uniforme, sur les banquettes sans dossier de la tribune diplomatique, vis-à-vis de cet immense catafalque contenant quinze cercueils. La chaleur du dehors, celle du dedans, les exhalaisons de cette immense quantité de monde, la fumée des cierges et celle plus nauséabonde des lampes sépulcrales, tout cela rendait insupportable l’atmosphère. Sous la chaleur, les énormes cierges se ployaient en deux et les bougies tombaient des lustres. Un des membres du barreau, placé dans une tribune vis-à-vis de nous, a été assez fortement blessé à la tête : il a perdu connaissance et on a dû l’emporter. J’ai cru que moi aussi j’allais tomber en défaillance.

L’assistance était considérable : les deux Chambres au grand complet, les femmes, filles, belles-filles et cousines des pairs et des députés, le corps diplomatique, les parens des victimes, la troupe de ligne, les gardes nationaux et enfin le clergé. L’église était décorée avec un luxe prodigieux et un goût parfait. L’oraison funèbre a été prononcée par notre curé, l’abbé Landrieu [1], mal débitée et mal faite. Les ministres en ont été excessivement choqués ; ils reprochent à M. Landrieu d’avoir voulu faire la leçon au Roi. Ils n’ont pas tout à fait tort, car notre cher curé a dit au Roi des choses passablement dures. Mais qui n’en dit pas aujourd’hui à Louis-Philippe ! La partie de ce discours dont le Roi a été mécontent, c’est celle où l’abbé a rappelé, au risque de blesser le corps diplomatique qui avait été convié à la cérémonie, les victoires remportées par le maréchal Mortier sur les Prussiens, les Autrichiens et les Suédois.

— J’ai regretté, m’a dit le Roi, qu’on ait évoqué ces souvenirs désagréables pour vous, dans un moment où le corps diplomatique s’est montré si aimable pour moi, et où il a bien voulu assister à notre deuil national.

Le Te Deum à Notre-Dame a été superbe et pas trop long. Le discours que l’archevêque a tenu au Roi est conçu dans le même esprit que celui de notre curé. Les ministres en sont furieux. La Reine, au contraire, est ravie : elle souhaitait avant tout se réconcilier avec l’archevêque.

Lorsque j’ai vu passer devant moi le vénérable prélat et son clergé allant au-devant du Roi, au-devant de Louis-Philippe,

  1. Curé de Saint-Thomas-d’Aquin.