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Le marquis, jusqu’à ce jour, n’a pas osé annoncer à son fils, Philippe, élève à l’École navale, la dure nouvelle. Il ne se décide à parler qu’in extremis, et parce que le jeune homme va être averti par la rumeur publique. Philippe éprouve une colère mêlée de chagrin qui s’exprime dans les meilleurs termes : il dit sur la poésie des vieilles pierres des choses profondes et exquises : il a lu les livres de M. André Hallays. Mais d’ailleurs à quoi peut aboutir cette belle indignation ? Ce n’est pas sur sa solde d’officier de marine que Philippe prélèvera de quoi entretenir le château. Il ne semble pas davantage enclin au procédé héroïque qui a servi à beaucoup de ses pairs : faire un mariage riche pour fumer ses terres. Il n’a aucun moyen de sauver le cher domaine. Seulement il a eu une minute d’émotion dont nous lui savons gré et qui nous l’a fait prendre en amitié.

Tandis que le père et le fils dialoguent, ne croyez pas que la scène autour d’eux reste vide. Elle est au contraire sans cesse occupée par tout un grouillement de monde. Pétard, pour solenniser sa prise de possession, donne une grande fête. Il pend une crémaillère monstre. Tout le pays est invité à banqueter chez le nouveau seigneur. Un grand restaurateur de Paris s’est emparé du parc, et ses employés vont et viennent disposant les tables, cependant que de tous côtés affluent les autorités, les invités et les simples curieux. Enfin l’arrivée de Pétard est suffisamment préparée ; il y a assez de monde sur la scène : son nom, ce nom ridicule et sonore, est sur toutes les lèvres : il peut faire son entrée, lui-même, en personne ; nous sommes mûrs pour contempler le fameux marchand d’orviétan, le roi du bluff, célébré par toutes les réclames, popularisé par toutes les affiches, le seul, l’unique, Pétard enfin.

Un grand bruit de trompes et de cornes d’automobile, remplaçant les trompettes et timbales d’autrefois, et le voici tel que nous l’imaginions, protecteur, familier, craquant de vanité, suant l’argent par tous les pores, débordant de vulgarité. Et pour le cas où la psychologie de ce gros homme conserverait pour nous quelque mystère, il va, tout à l’heure, nous en faire lui-même les honneurs dans un discours qui est la partie essentielle de cet acte, le morceau de bravoure, la cavatine et le grand air du moderne parvenu. Il y a là tout le village, et aussi l’évêque, le préfet, et le ministre ; et, parce que tout ministre est apte à tous les ministères, le vague de cette appellation « le ministre » nous a paru charmant. A l’adresse de chacun. Pétard tient une aménité en réserve ; par exemple, il rappellera que son père était communard et a fait partie du peloton d’exécution qui a fusillé l’archevêque