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un drame bourgeois, tout à fait suivant la formule de Diderot, qui ressortit au genre sévère et n’exclut pas la déclamation. Sans se confondre absolument avec la pièce à thèse, le drame bourgeois est du moins une pièce à idées, ou à tendances. L’auteur présente les personnages et dispose les événemens de façon à nous amener à une certaine conclusion. Je ne sais si c’est la faute de M. Devore, et probablement c’est plutôt la mienne, mais il me semble que des événemens tels que l’auteur les a imaginés il se dégage une conclusion diamétralement opposée à celle qu’il en tire, et que nous pensons de ses personnages justement le contraire de ce qu’il en pense

M. Derembourg est marchand de meubles : il a créé une maison où on fait avec une égale perfection le neuf, le vieux neuf et le vieux ; l’affaire est en pleine prospérité, et M. Derembourg souhaite la voir reprendre par son fils. Des deux fils qu’il avait, l’un est mort aux colonies ; c’est pourquoi il s’est juré que les colonies ne lui prendraient pas le second, et qu’il le garderait près de lui, au faubourg Saint-Antoine. Pour faire le bonheur et la fortune de ce garçon, il l’a fiancé avec Mlle Bernay, fille d’un autre marchand de meubles, son plus redoutable concurrent. Les deux maisons associées n’en feront plus qu’une, qui sera reine sur le marché. D’ailleurs la petite Bernay est charmante, jolie, candide, aimant beaucoup son fiancé et impatiente de l’épouser. Georges Derembourg est un heureux gaillard et son père est un bon père.

Or, par une conversation de Georges avec l’explorateur Martigny, nous apprenons qu’il rêve d’aller aux colonies, qu’il n’aime pas sa fiancée, qu’il aime Mlle Henriette, dessinatrice dans les ateliers de son père, et qu’il voudrait l’épouser. Bientôt, il fait monter Mlle Henriette, sous prétexte d’examiner avec elle des modèles de dessins, et lui parle de tout autre chose : il découvre, au cours de cet entretien, qu’elle est fille d’un professeur de mathématiques. Cette révélation dissipe ses derniers scrupules : le fils d’un marchand de meubles, même millionnaire, peut bien épouser la fille d’un professeur de mathématiques, même pauvre. Le père, revenu à l’improviste et renseigné par l’attitude gênée de son fils et de son employée, flaire le danger... Nous songeons, à part nous : « Voilà un garçon qui veut faire un sot mariage : il n’est pas le premier. L’ouvrière à laquelle il s’intéresse est pauvre, honnête et fille d’un professeur de mathématiques. Elles sont toutes pauvres, honnêtes et filles d’un professeur de mathématiques, à moins que ce ne soit d’un officier supérieur. Le père qui a fondé une famille, et qui l’a élevée