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Victime ont tiré leur pièce est bien connu : c’est un roman ironique et paradoxal, un roman de pince-sans-rire, ingénieux et spirituel. On a coutume de dire que dans le divorce l’enfant est la victime. Prenons un exemple. Voici le ménage Taillard. Ce sont des disputes continuelles. Qui en souffre ? M. Taillard ou Mme Taillard ? Nullement : ils se disputent, ils sont bien tranquilles. Mais le petit Gégé à qui on avait promis de le mener au Nouveau-Cirque, qui voit passer l’heure du spectacle pendant que ses parens s’invectivent et finalement qu’on envoie se coucher, la voilà la victime, et, cette fois, sans ironie. — M. et Mme Taillard ont pris le parti de divorcer. Mme Taillard rentre chez son père, M. Lecherrier, et emmène Gégé avec elle. Désormais commencent pour Gégé une vie de cocagne et des jours tissés de rose. Non seulement les disputes ont cessé, et le combat finit, faute de combattans, mais le père et la mère ne rivalisent plus que de gâteries pour l’emporter dans le cœur de Gégé. On ne manque plus ni le Nouveau-Cirque, ni Luna Park, ni Magic City, ni le Cinéma, ni aucun des lieux de plaisir que notre époque multiplie pour les enfans, afin qu’ils n’aient rien à envier à la frivolité des grandes personnes. C’est un concours d’attentions et de prévenances, une profusion de cadeaux qui se doublent, comme la superbe bicyclette maternelle qui fait pendant à la bicyclette toute pareille que Gégé tient déjà de son père. Ce tableau d’une félicité parfaite emplit le second acte. — Mais ici-bas tous les lilas meurent et les plus belles choses ont le pire destin. M. et Mme Taillard se réconcilient. Gégé apprend cette nouvelle avec désespoir. Adieu le « chantage à l’affection » d’où il tirait, avec un cynisme inconscient, de si beaux bénéfices. L’accord des parens est pour l’enfant une perte sèche.

Ces trois actes sont très courts et ils devaient l’être, parce que la situation ne prête pas à d’abondans développemens, parce que la scène étant presque continuellement occupée par des enfans, cela, deviendrait vite insupportable, surtout parce que l’ironie est un régal qui demande à ne pas être servi à haute dose. Et cette comédie est très gaie, de cette gaieté spéciale qui laisse après elle une longue amertume. En fait, je ne crois pas que rien de plus sévère ait été écrit sur le divorce. Car il est bien certain que l’égoïsme existe à l’état de germe dans l’âme enfantine, mais quelle admirable manière pour le faire fructifier que ce match d’un père et d’une mère uniquement attentifs à flatter un enfant et à développer en lui l’instinct de jouissance ! L’enfant démoralisé par les parens, c’est l’effet du divorce et c’en est la pire condamnation.