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chez nous jacobin, ont cru qu’il suffisait de faire une loi pour vaincre toutes les résistances et que, si la majesté de la loi n’y suffisait pas, rien n’était plus simple que d’y ajouter la force. M. Lloyd George et M. Winston Churchill ont prononcé des paroles qu’il est permis de qualifier d’imprudentes et que les Ulsteriens ont jugées provocantes : la résolution de ces derniers n’en a pas été ébranlée, elle en a été fortifiée. Il y a eu à la Chambre des Communes des séances émouvantes où les Orangistes irlandais, représentés par sir Ed. Carson et ardemment soutenus par les chefs du parti conservateur, M. Bonar Law et M. Balfour, ont déclaré qu’ils resteraient anglais à la vieille manière, malgré l’Angleterre elle-même, et ne reculeraient pour cela devant aucun moyen. La situation est devenue si dangereuse que M. Asquith a senti la nécessité d’une transaction. L’opposition demandait un referendum ; en tout cas, elle déclarait qu’elle ne céderait que devant la volonté du pays, si celui-ci était consulté et s’il répondait sous une forme catégorique. — Soit, a répondu M. Asquith ; nous ne voulons pas de referendum ; le Home Rule a été voté deux fois et il le sera bientôt une troisième, qui le rendra définitif ; il restera alors ce qu’il est, mais les différens comtés de l’Irlande seront consultés pour savoir s’ils veulent ou ne veulent pas qu’on leur en fasse l’application immédiate, et, s’ils ne le veulent pas, un délai de six ans leur sera accordé : pendant ce temps, il y aura deux élections générales en Angleterre et le pays aura eu le moyen de se prononcer. — Il faut reconnaître que la proposition de M. Asquith était inspirée par une bonne volonté véritable et peut-être aurait-elle été acceptée si les esprits n’avaient pas été aussi prévenus. En somme, qui a terme ne doit rien et bien des choses peuvent se passer en six ans ! Mais l’opposition a demandé davantage, à savoir que l’Ulster ne fût soumis au Home Rule que lorsqu’il y consentirait. Dans le système du gouvernement, le Home Rule serait appliqué mécaniquement au bout de six ans ; dans celui de l’opposition, il faudrait consulter à nouveau l’Ulster, à cette date, et ainsi de suite indéfiniment.

On en était là lorsque s’est produit l’incident qui a causé partout une si profonde et si légitime émotion. Des mouvemens militaires ont eu lieu en Irlande sur terre et sur mer ; on a dit qu’ils n’avaient pas d’autre objet que de veiller à la sécurité des dépôts d’armes et de munitions, mais l’Ulster a pu y voir autre chose et l’opinion y était de plus en plus alarmée et irritée lorsque le colonel Seely, ministre de la Guerre, a eu la malencontreuse idée d’appeler à Londres le commandant en chef des forces irlandaises, sir Arthur Paget, et lui a demandé