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ce qui reste d’une ville[1]. » Il reste encore une légende, Lou Trésor di Substantion, que l’abbé Favre, curé de Castelnau, où naquit Pierre de Castelnau, a popularisée dans un poème d’une forte verve gauloise.

François Coppée, venant de visiter le littoral languedocien, me disait un jour : « Votre Montpellier est une ville louisquatorzième. » Le bon et fin poète avait vu juste. C’est pendant le grand siècle que Montpellier traça ses longues rues ombreuses, couleur de bure ou de rouille, sa place de la Comédie qui est le forum ébloui de lumière d’où rayonnent les avenues conduisant aux faubourgs, sa place de la Citadelle qui a l’aspect d’une caserne et d’un couvent, enfin son Peyrou. Le Peyrou, une merveille, là-haut, sur la proue du plateau. Tous les voyageurs s’accordent à proclamer qu’il n’y a pas en France de promenade plus belle. Ce fut jusqu’en 1689 un terrain vague, servant aux marchés. Nicolas Lamoignon de Basville, le terrible persécuteur des Protestans, songea le premier à le transformer en rendez-vous de repos et d’élégance. Il le fit consolider par des murs de soutènement, et il y fit planter des marronniers et des platanes. En 1718, sous le Régent, les consuls placèrent au milieu de l’allée centrale une statue équestre de Louis XIV, que l’on renversa de son socle, en 1792, pour en fondre des canons. En 1838, une nouvelle statue de bronze fut érigée : aujourd’hui encore, Louis XIV, étrangement vêtu d’un costume romain, désigne de son sceptre la mer voisine, que désolaient les Barbaresques. Des terrasses du Peyrou, on peut contempler sans peine les sables argentés de Cette et d’Agde, les étangs bleus ou dorés du littoral presque désert, l’église autrefois pontificale de Maguelone, toujours debout dans les clartés de la mer immense qui étincelle. Lorsque de fins nuages tamisent la trop ardente lumière, on aperçoit dans le Sud les Pyrénées, la tête arrondie et roussâtre du Canigou, et, à l’Ouest, jusqu’aux Cévennes, la plaine du Saint-Loup tantôt riante, tantôt sévère, comparable à la campagne que des hauteurs de San Miniato on admire aux environs de Florence. Du cœur de cette plaine se déploie jusqu’au Peyrou la haute écharpe de pierres ajourées, l’aqueduc au double rang d’arceaux apportant à la ville les eaux de Saint-Clément et du Lez.

  1. Fréd. Fabrège, Histoire de Maguelone.