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le maréchal de Belle-Isle, petit-fils de Fouquet et ministre de la Guerre, le cardinal de Rochechouart, bon nombre de magistrats et de professeurs des cours et des universités de Toulouse et de Montpellier ont fait leur éducation dans cette maison vénérable, qu’éclairaient des cours spacieuses plantées d’ormeaux et de mûriers, et que développaient sur la souriante campagne des jardins et des bosquets. Ah ! ce vieux collège, où nous nous sentions heureusement chez nous, comme les oiseaux dans leur nid ! On l’a détruit, on a tué presque tous ses arbres, on l’a remplacé par une usine à bâtisses régulières, froides, sans âme. On n’y entend même plus de cigales, en été. C’est une école, pareille à toutes les autres. C’est une prison. Autrefois, la prospérité de la vigne permettait aux villageois de la plaine et des collines de confier leurs enfans au collège. À présent, la vie florissante s’en va, gagne la capitale, Montpellier. Les foires de Pézénas, qui étaient aussi fréquentées par le Bas-Languedoc que celles de Beaucaire par toute la Provence, n’existent plus, ou si peu !…

VI

Mais il y a une vertu que les misères de l’argent n’ont pas pu dissiper, à Pézénas, c’est la joie. Le carnaval y dure chaque année bien au delà du mardi-gras. Ce soir-là, on le tue ; il ressuscite le lendemain, et tant que ses forces ne sont pas épuisées, il agite ses grelots. Tous les samedis soir, l’une des corporations des jardiniers, des travailleurs de terre, des tonneliers, des boutiquiers, organise à tour de rôle un bal au théâtre, où les jeunes gens, travestis et masqués, se rendent joyeusement en farandole, à la rouge lueur des flambeaux de résine, au son de nombreux tambours, fifres et grosses caisses. Lorsque, pendant le jour, les farandoles, pour le simple plaisir de sauter et de danser au milieu de la foule qui rit, déploient par les rues de la ville et sur les promenades leurs groupes colorés et alertes, le Poulain d’habitude les accompagne.

Car, dans les cités du Languedoc, se conservent les usages traditionnels du carnaval. Chacune d’elles, ou presque, tient à sa bête légendaire qui évoque un fait important de son histoire. À Montpellier, le Chevalet rappelle la réconciliation, tant désirée par l’Église et par le peuple, de Marie de Maguelone et de son