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portes. C’est la conséquence inévitable du service obligatoire qu’en cas de mobilisation générale la vie est partout interrompue. Revenons à un mois en arrière. Les deux dernières pièces qu’a montées la Comédie, et dont il n’a pas encore été rendu compte dans cette chronique mensuelle, sont le Prince Charmant, de M. Tristan Bernard, et l’Essayeuse, de M. Pierre Veber. Comme nous nous étonnions qu’on donnât une « première » à une époque si avancée de l’année, quand Paris s’est déjà vidé de ses hôtes habituels : « C’est, nous disait-on, que la Comédie a besoin d’un spectacle gai pour les étrangers. » Ironie de nos prévisions ! Il se trouve d’ailleurs, — et tous les critiques en ont fait la remarque dès le premier jour, — que ni la pièce de M. Tristan Bernard, ni celle de M. Pierre Veber ne sont des pièces gaies. Elles appartiennent l’une et l’autre à ce genre de comique qui recouvre à peine la laideur de certains caractères et la tristesse de certaines situations.

On a mis souvent à la scène l’homme d’affaires, le financier, l’agioteur, le spéculateur, l’aigrefin. Cela commence avec le Turcaret de Lesage, qui peint, une fois pour toutes, dans une large et durable effigie, le traitant. Puis, c’est le Mercadet de Balzac, le financier imaginatif, dupe du mirage, victime de l’entraînement, qui voit grand, trop grand, et succombe à ses ardeurs de conquérant. Alexandre Dumas fils continue avec le Jean Giraud de la Question d’argent, pièce oubliée, mais dont un mot est resté : « Les affaires, c’est l’argent des autres. » Émile Augier personnifie dans son Vernouillet un phénomène nouveau : l’ingérence des affaires dans la politique, l’influence des affaires d’argent sur les affaires d’État. M. Octave Mirbeau campe dans les Affaires sont les affaires cet étrangleur public qu’est M. Lechat. Joignez les Ventres dorés de M. Émile Fabre et bien d’autres pièces par lesquelles il serait facile d’allonger cette liste. Toutes ces peintures se ressemblent par un trait. Dans tous les cas il s’agit de montrer la puissance malfaisante, — pour les autres et pour lui-même, — dont dispose celui qui possède ou du moins qui manie l’argent. Les types qu’on nous présente sont de large envergure. Ils sont les portraits, amplifiés et pourtant ressemblans, de ces rois de la finance ou de ces escrocs, que nous avons peu d’occasions de rencontrer dans le monde où nous fréquentons, et que nous ne connaissons guère que par les échos de la Bourse, les débats des tribunaux et parfois ceux du Parlement.

Mais il existe une autre catégorie d’hommes d’affaires, beaucoup plus nombreuse, beaucoup plus répandue, dont nous avons tous ren-