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éblouie ? C’est le premier jeune homme qu’elle voie, du moins le premier qui ait de si grandes manières. A ses yeux, c’est un prince, littéralement. Elle est sous le charme. Victime désignée, elle aspire au sacrifice… Ce premier acte, cela saute aux yeux, est dans la veine de Labiche, avec moins d’outrance : c’est du Labiche assagi et qui se serait amusé à pasticher Henri Monnier.

Le second acte est un acte de comédie, le seul acte peut-être de toute la pièce qui soit un acte de comédie, celui en qui résident la véritable signification, la portée et la valeur de l’œuvre. Le mariage est consommé : un enfant est venu, mais non pas le bonheur. Un coup d’œil jeté sur l’intérieur élégant et dénudé de Gaston Houchard et d’Anna nous fait assez comprendre quel genre d’existence mène le jeune ménage. On est aux expédiens : les fournisseurs, impayés, refusent de faire crédit ; la nourrice, à qui on promet vingt francs pour la première dent de bébé, saisit l’occasion de cette générosité à venir pour réclamer ses gages dont l’échéance est depuis trop longtemps du passé. Quiconque se trouve sur le chemin de Gaston, parens, amis, visiteurs, employés, gens de service, est imposé sur son revenu ou sur son capital : c’est la contribution forcée. Personne ne passe sans laisser entre ces mains, habiles à l’escamotage, qui cent francs, qui trois cents, qui dix mille francs et qui dix sous. D’ailleurs Gaston n’est jamais chez lui. Il déjeune, il dîne dehors : déjeuners, dîners d’affaires : les affaires ne se traitent qu’à table et devant une table bien servie. Il n’y a pas de jeune femme plus délaissée qu’Anna Houchard. N’est-elle que délaissée ? Une scène nous renseigne abondamment. Un M. Alcidier, à mine de naïf, tout à la fois de mari battu et de gogo, vient se plaindre, au nom de Mme  Alcidier, que Gaston se fasse trop rare, et s’informer, en son nom propre, si le beau-père Colvelle consent à garantir le dernier emprunt de Gaston. Donc Gaston est l’amant de la femme et le débiteur du mari… Il n’est d’ailleurs ni méchant, ni vicieux. Tout le monde lui pardonne, tout le monde l’aime, nul ne lui adresse de reproches, non plus qu’il ne s’en adresse à lui-même : un reproche, d’où qu’il vînt, ferait de lui l’homme le plus étonné de la terre. Il est d’une superbe inconscience.

Que devient dans tout cela l’oncle Arthur, qui, dès le début, avait pris ferme position d’adversaire ? Une scène très joliment filée nous permet de mesurer sa force de résistance. Résolu à parler net, une bonne fois, et parti pour secouer vigoureusement son panier-percé de neveu, il l’aborde et le force… à lui emprunter mille francs. Tou-