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ne voulait pas avoir de politique, n’aura pas été moins important. Et ces trois quarts de siècle, qui embrassent trois pontificats avec leurs alternances, leurs réactions, leurs changemens de direction, forment une chaîne qui unit fortement Pie IX, Léon XIII et Pie X. Avec eux s’ouvre une ère, dont on ne saurait dire quand elle sera terminée. La force et l’autorité dont ces trois papes, si différens par l’esprit et le caractère, ont été revêtus dans l’Eglise apparaissent très grandes.

Le pontificat de Pie IX, c’est la diminution, puis la fin du domaine temporel ; c’est plus encore l’extension continue du pouvoir spirituel et du pouvoir moral de la papauté. Pie IX, aimable et séduisant, ardent et familier, orateur enjoué, impétueux et touchant, conquiert les cœurs. Et le culte du Pape s’installe, grâce à lui, dans la dévotion des fidèles, pendant que, par ses actes, l’autorité du Pape grandissait partout. Nulle part ces progrès et ce triomphe de la Papauté n’éclatent mieux qu’en France où, sous l’action de Pie IX, aidée par les circonstances, disparaissent les derniers vestiges de l’esprit gallican. Et la même année, à deux mois de distance, voit la proclamation, à Rome, par un concile, de l’infaillibilité doctrinale du Pape et l’écroulement de son règne temporel. Et huit ans plus tard. Pie IX, enfermé dans son Vatican, entouré de la vénération exaltée du monde catholique, insouciant de trouver l’indifférence ou l’hostilité chez les gouvernemens que sa politique de mysticisme intransigeant n’a pas gagnés à l’Église, meurt à Rome en même temps qu’y meurt le premier roi d’Italie.

Après lui, le pontificat de Léon XIII continue et achève Pie IX en paraissant le contredire quelquefois : c’est le rapprochement et l’entente avec les gouvernemens, sauf un seul ; c’est l’extension du pouvoir moral de la Papauté et de son prestige dans le monde. Léon XIII a compris la situation et les conditions nouvelles de la Papauté, le rôle qu’il lui serait possible de jouer ; il a revendiqué ce rôle sans renoncer à la revendication matérielle, nécessaire, selon lui, pour mettre la Papauté en état de l’exercer [1]. Jusqu’où, dans sa pensée, allait cette revendication matérielle, il n’a jamais eu à le dire expressément. La véritable et profonde dissidence entre Léon XIII et l’Italie portait sur la conception toute différente qu’ils se faisaient de la

  1. Voyez, dans la Revue du 1er août 1903, le très bel article de M. Georges Goyau sur Le Pape Léon XIII.