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PATRICE MAHON [1]

Il est mort en héros. Il avait réclamé comme une faveur d’être envoyé au poste le plus périlleux. Dans les combats autour de Wissembach, il fut chargé d’une mission particulièrement difficile. Il n’est pas revenu. Ainsi est tombé, à la frontière, en défendant le sol de la patrie contre l’envahisseur, le lieutenant-colonel d’artillerie Patrice Mahon qui, sous le pseudonyme d’Art Roë, avait été l’un des plus brillans collaborateurs de cette Revue. Cette mort sur le champ de bataille, il en avait bien des fois évoqué l’idée et pour en admirer l’incomparable beauté. Il l’avait enviée comme la fin la plus digne d’un soldat. Le premier livre qu’il ait publié, jeune officier de vingt-cinq ans, contient à ce sujet des pages qu’il est impossible de relire aujourd’hui sans une profonde émotion et auxquelles l’événement prête un sens tragique. Il était de ceux qui supportaient impatiemment une longue paix dans une France humiliée et meurtrie. Quand il ramenait ses hommes au quartier, après quelque manœuvre, il s’irritait qu’on en fût toujours à ces simulacres de guerre, sans en venir jamais à la guerre véritable. « Cela n’arrivera donc jamais que ce portail nous vomisse, armés en guerre, et nous projette sur la route, en marche définitive, vers les combats, vers les hasards, vers les ennoblissantes douleurs ! » Elle devait arriver, l’heure si ardemment souhaitée ; elle ne pouvait manquer de sonner ; tout ce qu’il demandait alors, c’est que lui fût épargnée la lente agonie sur un lit d’hôpital : « Mieux vaut la fin inattendue qu’on rencontre sur un champ de bataille ; mieux vaut la balle aiguë, mieux le coup de sabre hasardé

  1. Art Roë : Pingot et moi ; Sous l’Étendard ; Racheté ; Mon Régiment Russe (Calmann-Lévy). Articles dans la Revue des Deux Mondes depuis le 15 juin 1893.