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habitans étaient de race serbe. Tout pays vit avec un idéal qu’il poursuit toujours, même au risque de ne l’atteindre jamais : il ne se le laisse pas arracher sans douleur. L’idéal des Serbes est naturellement de réunir un jour toute la nationalité serbe dans les mêmes frontières. L’acte accompli par le gouvernement autrichien était un coup porté à leur rêve d’avenir : de là l’effervescence qui se produisit à Belgrade et qui gagna de proche en proche jusqu’à Saint-Pétersbourg. La faute une fois commise, si on ne croyait pas devoir ou pouvoir la réparer, il aurait du moins été sage d’en adoucir les effets pour la Serbie ; mais on n’en fit rien, loin de là ! on se rappelle l’extrême raideur, l’inexorable exigence, l’injurieuse dureté qu’affecta alors la politique autrichienne. Le baron d’Ærenthal joua au Bismarck ; il crut sans doute en être un nouveau, et d’autres que lui le crurent au premier moment ; mais c’est une opinion qui ne tarda pas à se dissiper et que personne ne soutiendrait plus aujourd’hui. En dehors du motif que, en fait de violences, il faut s’en tenir à ce qui est strictement nécessaire et se garder de le dépasser, l’Autriche en avait un autre de ménager le sentiment des Serbes, c’est qu’elle aurait ménagé en même temps celui de la Russie. Bismarck n’aurait pas manqué de le faire. L’attitude adoptée et maintenue contre les Sorbes devait produire sur la Russie l’effet d’une provocation. On en eut l’impression extrêmement vive à Saint-Pétersbourg ; on s’émut, on commença à s’agiter. C’est alors que l’Allemagne intervint et personne n’a oublié la démarche que son ambassadeur à Saint-Pétersbourg, le comte de Pourtalès, fut chargé de faire auprès du ministre des Affaires étrangères, M. Isvolsky. L’Allemagne, qui était derrière l’Autriche, se plaça à côté d’elle ou même devant elle, « avec son armure étincelante, » et la Russie céda. On était encore trop près de la guerre de Mandchourie et de ses suites. L’armée russe n’avait pas eu le temps de panser, de guérir ses blessures. C’était, à Saint-Pétersbourg, un acte de haute raison que de savoir attendre. Mais, si le gouvernement allemand a cru que ce souvenir pénible s’effacerait de la mémoire du gouvernement russe, il a eu tort. Il avait déjà inquiété l’Angleterre, il venait de blesser cruellement la Russie : et ce sont là des choses qui laissent des traces ineffaçables.

On avait cru jusqu’à présent que, dans l’acte aventureux qu’il avait accompli, le gouvernement allemand avait été déterminé