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Le 18 au soir seulement, l’absence prolongée de nouvelles, le récit d’un voyageur disant que la rougeole sévit parmi les troupes inquiètent tout à coup la Reine et la décident à se rapprocher de ses enfans. Le 19, à six heures du matin, nous quittons Foligno pour Ancône. A la première poste, alle case nuove, nous voyons revenir Rosselli, qui nous précédait pour commander les chevaux. Il annonce un M. Baratti, qui apporte des nouvelles, et cet inconnu s’approche en effet de la portière de la Reine, disant que Napoléon a la rougeole, que Louis réclame sa mère au chevet de son frère. « La rougeole, j’en était sûre ! s’écrie-t-elle avec effroi. A-t-il bien transpiré au moins ? » Puis, sans attendre les réponses, elle commande à Rosselli de courir en arrière ; elle va rebrousser chemin jusqu’à Foligno, elle veut qu’on lui prépare des chevaux le long de la route du Furlo jusqu’à Forli.

J’étais descendue de voiture, pour répondre à un signe que m’avait fait Rosselli. Nous nous écartons un peu et il me remet une lettre que je lis à la hâte, en me retirant au fond d’une écurie. C’est M. Roccaserra qui écrit : Napoléon est très malade, il désire sa mère, elle doit venir.

Comme la Reine part dans l’instant et qu’elle fera toute diligence, je décide d’attendre quelque peu avant de lui parler de cette lettre et d’augmenter ainsi ses inquiétudes déjà si vives. A course de chevaux, nous revenons à Foligno ; M. Baratti nous suit dans la calèche des princes. Les angoisses de la Reine sont inexprimables. Je lui propose d’envoyer un deuxième courrier, qui devancera Rosselli, qui gagnera sur lui quelques heures et qui reviendra au-devant de nous avec des nouvelles. Elle accepte, et ce moyen, peut-être illusoire, lui procure du moins un instant de calme. Mais à la première poste, à Ponte Centesimo, M. Baratti vient me demander de payer pour lui ses chevaux et m’avoue qu’il n’a plus d’argent. Ce n’est là peut-être qu’une manière de nouer la conversation, ou de m’écarter un instant de la voiture de la Reine, pour causer avec moi en particulier ; mais je ne le comprends pas d’abord et réponds qu’il n’ait à s’occuper de rien, que Rosselli fera tout. Il demande alors si j’ai rendu compte à la Reine de la lettre qu’il a apportée. La Reine, en l’entendant, tressaille et dit : « N’est-ce pas, mademoiselle Masuyer, Napoléon n’est pas mort ? S’il était mort, nous le saurions ! — Oui, madame, lui dis-je aussitôt, nous le saurions ! »