Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séparée de Napoléon par la guerre, avant de l’avoir été par la mort. Louis aurait pu se trouver dans l’alternative de déserter le lit de son frère agonisant ou de tomber aux mains de l’ennemi, tandis qu’il l’a assisté jusqu’à la fin, et que leur affection réciproque s’est satisfaite du voisinage où ils se trouvaient.

Napoléon avait de Louis l’opinion la plus haute : « C’est un profond penseur, disait-il à Roccaserra. Il m’est supérieur en intelligence. Il deviendra un grand homme d’Etat... » Puis, passant aux autres personnes de la famille, il le chargeait pour elles des adieux les plus touchans.

La douleur de Tadeo donne la mesure de celle que l’événement va causer à Florence. Nous y renvoyons ce soir ce vieux serviteur ; demain Rosselli y retournera à son tour, avec la voiture du Roi. Enfin, le valet Cateno a été congédié aujourd’hui même. Il emporte la bourse du Prince, qu’il prétend lui avoir été donnée par son maître, avec les 49 napoléons qu’elle renfermait. Force est de le croire sur sa parole, bien qu’il n’en ait pas.

Une chose que Roccaserra n’a pas dite à la Reine, que j’espère qu’il ne lui dira pas, c’est que Napoléon avait désiré la revoir et qu’il l’attendait avec impatience. Jusqu’à présent, elle ne s’accuse de rien. Elle rejette sur la fatalité les cinq jours d’incertitude et d’attente perdus par elle à Foligno, alors que sa place était si bien marquée ici. Serait-ce que chez elle l’instinct maternel, si vigilant pour Louis, était moins organisé et moins avisé quand il s’agissait de Napoléon ?

Deux journées passées à Pesaro ont contribué à la remettre. Le danger même de sa situation lui était salutaire en ce qu’il la ramenait au sentiment des choses présentes et la tirait de son désespoir. Le prince Louis, qu’elle voulait dérober aux Autrichiens, avait les mêmes soins pour elle, et cette obligation de s’occuper l’un de l’autre était leur salut à tous deux.

J’ai fait part pour elle de son deuil à sa belle-sœur, la duchesse de Leuchtenberg, et prié Mme de Walsch de l’annoncer à la grande-duchesse de Bade. Le lundi 21, son neveu Rasponi, mari de la fille cadette de Murât, et le comte Pepoli, notre connaissance de Foligno, devenu depuis peu de jours préfet de Pesaro, lui ont fait d’assez longues visites. Hier 22, elle a voulu écrire dans son lit une notice sur son malheureux enfant. J’ai profité de ces instans pour causer avec le prince Louis. Il m’a parlé de sa douleur avec confiance, et même avec abandon ; je