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autant un Anthime Armand-Dubois et un Julius de Baraglioul avaient de quoi nous attrister par tout cet accablement de disciplines qu’ils portent mal, autant nous séduit ce jeune Lafcadio qui improvise toute son existence et inaugure les règles de sa fantaisie. Son enfance a été une extraordinaire aventure cosmopolite et les influences qu’il a subies, contrariées les unes par les autres, n’ont guère laissé en lui de trace. Il ne sent aucune servitude l’entraver. Julius et Anthime, de même qu’ici-bas les gens habituels, sont des esclaves et, à chacun de leurs instans (pour employer le mot des philosophes) conditionnés, des victimes du principe dit de causalité, victimes résignées sous le joug. Lafcadio, non. Lafcadio, l’auteur s’amuse à lui organiser une destinée telle que rien ne lui advienne jamais que par hasard. Ainsi, Lafcadio est le fils du vieux Juste-Agénor de Baraglioul et, de cette façon, le frère de Julius. Nous profitons de son aubaine : à la faveur de cette parenté, il entre dans le roman. L’aubaine est pour lui aussi : le vieux Juste-Agénor le voit un jour, lui lègue des rentes et meurt. Lafcadio n’a pas eu le temps de s’attacher ; et les rentes lui seront commodes. Du reste, ce jeune homme est digne de sa fortune. Les gracieux hasards n’ont point en lui un ingrat. Tout son effort, il le consacre à se garder en bel état pour les accueillir. Leste, rapide, toujours prêt aux événemens, prompt aux ripostes de l’énergie, net en ses propos, il ressemble à un jeune homme de Stendhal. Et, comme s’il avait une fine conscience de son privilège, en l’honneur des hasards et pour dénigrer à lui-même leur ennemi, ce lourd principe de causalité, il accomplit des chefs-d’œuvre. Il sauvera, dans un incendie, trois enfans ; plus tard, il assassinera un individu qu’il ne hait pas : il n’aimait pas les trois enfans qu’il a sauvés. Il démontre qu’il est prime-sautier.

Précieux héros, d’un récit romanesque ! Avec un tel Lafcadio, il se passe continuellement quelque chose. Et l’auteur amène sans difficulté les incidens : ce qu’ils ont de plus déraisonnable rend hommage à ces hasards dont Lafcadio est l’heureux jouet. Ah ! Julius de Baraglioul n’entend pas de cette façon l’art du roman. « Cela vous amuse beaucoup, d’écrire ? » lui demande Lafcadio. « Je n’écris pas pour m’amuser ! » répond noblement l’auteur de ''l’Air des cimes. Et voici l’une des significations que M. André Gide a incluses dans sa sotie : c’est une drôle de chose que de n’écrire point pour s’amuser. Pourquoi écrire, alors ?... Julius de Baraglioul, quand il écrit, fait de l’apostolat. D’ailleurs, il est tout plein de niaiserie. Laissons sa niaiserie : en tout cas, il a tort de ne considérer la littérature que comme un bon moyen