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aspirations, leurs vœux, leurs sympathies, leurs volontés. Les droits des peuples doivent être déterminés d’après une méthode purement objective.

Or, en ce sens, les peuples se distinguent en Naturvölker, Halbkulturvölker et Kulturvölker : peuples à l’état de nature, peuples à demi-cultivés, peuples cultivés. Ce n’est pas tout : il y a des peuples qui sont simplement cultivés, Kulturvölker, et des peuples qui sont entièrement cultivés, Vollkulturvölker. Or, c’est le degré de la culture qui détermine celui du droit. En face des Kulturvölker, les Naturvölker n’ont point de droits, ils n’ont que des devoirs : devoirs de soumission, de docilité, d’obéissance. Et, s’il existe un peuple méritant, plus que tous les autres, le titre de Vollkulturvolk, peuple de culture complète, à ce peuple appartient, sur la terre, la suprématie. Il a pour mission de courber tous les autres peuples sous le joug de sa toute-puissance, corrélative à sa culture supérieure.

Telle est l’idée de la nation-maitresse. La dialectique démontre que cette nation ne doit pas être simplement un type abstrait, mais qu’elle doit nécessairement se réaliser dans notre monde. En effet, l’esprit, forme suprême de l’être, veut nécessairement être, et, comme il est infini, il ne peut être réalisé qu’au moyen d’une force infinie elle-même. La nation capable d’imposer sa volonté à tous est l’instrument nécessaire de la volonté divine, en tant que celle-ci veut exaucer la prière évangélique : Père, que ton règne arrive, que ta volonté se réalise sur la terre, comme elle est accomplie au ciel !

Comme il faut, dans le monde, une nation-maîtresse, ainsi faut-il des nations subordonnées. Il n’y a pas de oui efficace sans un non décidé. Le moi, dit Fichte, est effort ; donc il suppose quelque chose qui lui résiste, à savoir : cela même que nous appelons la matière. La nation-maîtresse commande : donc il doit exister des nations faites pour lui obéir. Il faut même que ces nations, qui sont, à la nation-maîtresse, ce que le non-moi est au moi, résistent à l’action de cette nation supérieure. Car cette résistance est nécessaire pour permettre à celle-ci de développer et déployer ses forces et de devenir pleinement elle-même, c’est-à-dire de devenir le tout, en s’enrichissant des dépouilles de tous ses ennemis.

Ainsi se définit, par une déduction transcendantale, la nation idéale, et cette même déduction nous conduit à affirmer que