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le recueil de M. Perrout, d’y rencontrer les thèmes de ce christianisme pathétique, comme les Arma Christi ou le Pressoir mystique, dont la vogue fut si grande à la fin du moyen âge. Et puis, ce sont les saints, les célestes protecteurs qui brillent sur les vitraux, les génies domestiques, les Lares des campagnes : saint Blaise, saint Guérin, qui veillent sur les étables, saint Hubert qui guérit la rage, saint Roch qui écarte la peste, sainte Barbe qui émousse et conjure les traits de la foudre. Voilà les personnages, les héros populaires, dont les images rassurantes se clouent dans la maison, sur la hotte de l’âtre qui préside au cercle de famille, sur le lit, au-dessus du sommeil des époux, sur le berceau des petits, sur la chambre des filles, à la porte des bahuts, des granges, du chenil, comme un talisman, un secours contre toutes les alarmes du jour et de la nuit. Et cela remontait à des temps très lointains, aux plus vieilles images de nos cabinets d’estampes, qui datent peut-être de la fin du XIVe siècle ; et c’est ce que signifiait ce joli nom de « dominotiers, » c’est-à-dire fabricans d’articles de dévotion (littéralement de « bondieuseries », qui fut jusqu’au siècle dernier celui des marchands d’images. Mais le langage populaire se servait d’une métaphore encore plus expressive, d’un mot où tiennent des siècles d’antiquités chrétiennes, la longue société des humbles avec leurs patrons de là-haut, la bienveillante féerie où respirait cet ancien peuple ; il n’avait qu’un seul nom pour toutes les images ; profanes ou sacrées, il les appelait : les « Saints. »

Telle était l’imagerie aux derniers jours de l’ancienne France, lorsque Jean-Charles Pellerin y apporta une révolution. Il faut donner quelques détails sur cet inventeur, ce bonhomme, ce « Charles Perrault » en petit, comme dit M. Maurice Barrès : c’est lui qui laïcisa l’image populaire tout en étendant singulièrement son domaine. Il sut à merveille saisir, de son coin d’Epinal, le bouleversement moral qui venait de s’accomplir et les besoins nouveaux de l’imagination. Il y adapta son industrie avec une souplesse parfaite et une intelligence lucide.

L’homme, une miniature de famille, publiée par M. Perrout, nous le montre, vers 1820, aux environs de la soixantaine. C’est un bourgeois encore vert, de face pleine et rasée, l’air un peu solennel, serré à triple tour dans sa cravate de mousseline, et conservant sous les Bourbons le frac à boutons d’argent, la