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La victoire, c’est le souverain remède pour nos blessés. Et quelle joie de leur en porter l’annonce, de leur lire tout haut, entre les lits où ils se soulèvent pour mieux nous entendre, les bulletins qui l’annoncent !

Nous en avons besoin, nous aussi, pour soutenir la vue de leurs souffrances. Une fois baignés, rasés, vêtus de linge neuf, soulagés par les premiers soins, refaits par le sommeil et la bonne nourriture, c’est une joie de les contempler sur leurs couchettes blanches, les traits reposés, les yeux chargés de reconnaissance et de doux étonnement. Mais que l’arrivée est donc émouvante ! Ceux de samedi soir, des Français, amenés de Montereau, avaient reçu quelques soins, et ils étaient à peu près propres. Mais leurs blessures, déjà vieilles de quatre ou cinq jours, pansées une seule fois, sommairement et trop tard, les faisaient cruellement souffrir. Des douze pourtant, aucun ne se plaignait ; un seul, sous les élancemens de la douleur, fermait les yeux et serrait les lèvres ; les autres gardaient la force de maîtriser leurs dures sensations. Il y en avait un surtout, un homme du peuple, dont l’apparition ne s’effacera pas de ma mémoire. Je vois entrer sur le brancard, enroulé dans la couverture, son pauvre corps si long, si maigre, si meurtri ; je vois sa figure presque noire, aux pommettes saillantes, ses yeux luisans de fièvre et son sourire, oui, son sourire, mais d’une beauté, d’une résignation, d’une douceur à rappeler les martyrs chrétiens regardant le ciel parmi leurs supplices. Le docteur me dit qu’il est blessé à la tête, à la jambe, au bras. « Vous souffrez bien ? » lui demandai-je en prenant sa main que j’aurais voulu baiser. Il me répondit : « Non. Un peu fatigué de l’automobile. »

Nous avons reçu ce même soir un officier de vingt et un ans, sorti de Saint-Cyr pour aller au feu, atteint de deux blessures. Je tairai les autres indications. Mais je peux dire une de ses épreuves. Ramassé sur le champ de bataille par les infirmiers allemands, il fut transporté avec leurs blessés au village voisin, dans l’unique chambre d’une maison abandonnée. On n’y trouva que deux matelas pour huit qu’ils étaient ; il dut passer deux nuits et un jour, étendu auprès de ces êtres grossiers, mal- propres, sentant le tabac et, malgré leurs blessures, s’enivrant du vin de la maison. Leur colère, à tous, allait aux Anglais ; point de quartier pour eux, pas plus que pour les noirs. Quant aux Français, c’étaient de braves adversaires. On en viendrait