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il l’arrange à la mode d’Epinal. C’est ici la partie la plus curieuse de notre étude, et celle où peut-être arriverait-on à déterminer d’assez près ce qu’on entend par le génie ou le goût populaire. Il faudrait prendre les modèles en vogue dans la maison, gravures d’originaux célèbres, reproductions de Steuben ou d’Horace Vernet, plus tard dessins de l’Illustration ou du Monde illustré, — voir ce qu’on en conserve, ce qu’on en élimine, préciser ce qui de l’œuvre savante passe dans l’œuvre populaire, quels élémens en restent assimilables au peuple, et de quoi se nourrit son imagination. Ainsi comprise, l’imagerie devient un document précieux. C’est le véritable miroir de la vision des foules.

Ce travail se résume d’un mot : il consiste dans une sorte de dessèchement. D’une scène quelconque, après que Réveillé ou Georgin y a passé, il ne reste que le squelette. Les contours se durcissent. Les personnages et les objets sont consciencieusement enfermés dans une sorte d’armature rigide, dans une cage de fils de fer, dont la dureté a pour cause la gaucherie du graveur, mais aussi son instinct de la définition. Le cerveau populaire, simplificateur par essence, éprouve un surprenant besoin de certitude. Il n’admet dans la représentation ni vague, ni flottement, ni coins d’ombre. Tout ce qui est un peu particulier, divers, tout ce qui, dans la vie ou dans une scène imaginaire, dérange nos habitudes et complique l’idée sommaire que nous avons des choses, est sacrifié d’autorité à cet instinct de l’évidence. Si l’art, comme on l’a dit, débrouille la nature, le dessin d’Epinal se pose sur la confusion des faits comme une grille, qui ne laisse apercevoir que les gros caractères. L’homme du peuple ressemble à quelqu’un qui ne saurait lire dans un livre que les têtes de chapitres et ce qui est écrit en capitales. Il lui faut des choses soulignées et isolées les unes des autres par ce trait labouré des écritures enfantines. En même temps qu’elle se schématise, la forme passe par une sorte d’opération de laminage : elle s’aplatit ; tout ce qui est profondeur, atmosphère, enveloppe, relief, est aboli. Il ne reste que la silhouette, une formule sans substance et presque vide de contenu. Oh ! non, ce n’est pas, comme l’écrit spirituellement M. Maurice Barrès, le langage « ouaté, capitonné » des intellectuels et des « grands mandarins. » Mais ces raffinemens, ces demi-teintes, ces nuances rompues de la langue savante ne sont qu’une manière d’exprimer de plus près la vie. L’image d’Epinal y substitue des abstractions.