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devant cette perspective, d’ailleurs toute gratuite. Et voici maintenant que s’élance dans la chambre la jeune Centa, plus gracieuse que jamais dans son élégante toilette d’amazone ! A son tour, elle apprend la grande nouvelle.


— C’est une farce, hein ? demanda-t-elle à son père. Ce n’est pas vrai, dis, que tu sois promu général ?

— Et si c’était vrai, qu’en résulterait-il ? répondit le général, qui ne parvenait pas à s’expliquer l’attitude, à demi-souriante et à demi-fâchée, de la chère enfant.

— Ce qui en résulterait ? — reprit Centa, exquise créature dont le tempérament passionné rayonnait de ses yeux et de tous les traits de son joli visage plein de fraîcheur juvénile. — Il en résulterait que je m’en irais de chez vous !

Le général fit entendre un gros rire.

— De mieux en mieux ! Tu veux nous quitter ? Et pourquoi donc ?

Cette fois, ce fut avec un profond sérieux que Centa répondit, le regard fixé sur le visage de son père :

— Parce que tu me rends tout simplement impossible de me procurer un mari !

— Oh ! Centa !... fit la mère, d’un léger accent de reproche.

Mais Centa n’était pas d’humeur à se laisser intimider.

— Il t’est facile de parler, à toi, maman, qui es en possession d’un mari ! Mais moi, comment arriverai-je à en décrocher un, si tous les ans, nous changeons de résidence ? Déjà, comme fille de capitaine, je suis restée en panne...

— Mais tu avais à peine quinze ans ! objecta timidement son père.

— Oui, sans doute : mais ensuite, comme fille de major, j’en avais seize, et dix-sept comme fille d’officier d’état-major, et voici que j’en ai dix-neuf comme fille de colonel !... Ah ! si au moins j’avais su d’avance que nous avions si peu de temps à demeurer ici !... Non, papa, c’est vraiment trop horrible, qu’il nous faille déjà nous en aller ! Tout à l’heure encore, au manège, je me suis follement amusée. Le lieutenant von Versen était là, aussi. Je peux bien vous l’avouer, depuis quelques semaines je flirte avec lui, et toujours j’espérais que j’allais en devenir amoureuse pour de bon ! Puis voilà que le jeu est fini, à peine commencé !... Ah ! papa, pourquoi n’es-tu pas resté colonel ? Tu ne peux pas te figurer comme cela me vieillit, d’être fille de général !

Tendrement, le général attira vers soi la belle et charmante enfant.

— Tu te sentiras jeune de nouveau, Centa, et dans la future garnison aussi tu trouveras des amies, comme aussi des amis, si tu y tiens absolument, des hommes qui te feront la cour, encore bien que tu sois trop jeune pour te marier !

Centa prit une mine effrayée.

— Trop jeune à dix-neuf ans ! Faudra-t-il donc que j’attende jusqu’à soixante-dix ? Non, non, papa, il est tout à fait temps que je trouve un mari !