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longtemps, elle admirait et désirait secrètement l’amoureux de Marie. Elle paraît réfléchir un instant, et puis elle répond :


— Ma foi, M. Tewsen, je ne serais pas éloignée de consentir à vous écouter ! Si peut-être dimanche prochain, le soir vers huit heures et demie, vous me faisiez l’honneur de venir avec moi au bal du Cygne, on causerait de tout cela. Mais il y a une chose que je dois vous dire tout de suite, M. Tewsen : c’est que, s’il vous arrivait d’être père, en ce cas, c’est vous qui auriez ensuite à vous occuper de l’enfant !

— A coup sûr, approuva-t-il, là-dessus vous pouvez être parfaitement tranquille ! Oui certes, mademoiselle Anna, naturellement, c’est moi qui aurais à m’occuper de l’enfant. Et j’ajoute que cela ne m’embarrasserait pas longtemps, et que j’aurais vite fait de trouver un imbécile à qui je pourrais mettre l’enfant sur les bras. Il y a, par exemple, dans ma compagnie, Meyer IV, un beau garçon, mais bête comme un porc. Il a de l’argent gros comme du foin : son père possède une grande ferme, et c’est seulement à cause de sa bêtise que Meyer n’a pas été en état de passer l’examen pour ne faire qu’une année. Il est si bête, voyez-vous, mademoiselle Anna, qu’il vous suffirait d’abaisser sur lui vos jolis yeux pour lui faire croire tout ce qu’il vous plairait. Mais un brave garçon, avec cela, ce Meyer, et l’enfant serait parfaitement heureux sous sa garde !

Puis, se redressant, d’un mouvement plein de fierté, Tewsen répéta :

— Soyez tout à fait sans inquiétude, mademoiselle Annal De l’enfant, c’est moi qui m’en occuperais, puisqu’aussi bien c’est moi qui en serais le père ! En un tour de main, je vous trouverais quelqu’un pour en endosser la charge !


Pleinement rassurée, la femme de chambre s’engage, de son côté, à une discrétion absolue vis-à-vis de la cuisinière Marie : car elle comprend assez que Tewsen ne saurait songer à rompre une liaison dont il retire autant de profit. « Soyez tranquille, lui dit-elle, jamais Marie ne saura rien ! » Les deux jeunes femmes n’ont-elles pas, à tour de rôle, leur dimanche de congé ? à tour de rôle elles iront se promener au bras du triomphant fusilier. Mais soudain l’entretien se trouve interrompu par le retour de Marie, toute chargée de paquets dont son galant « trésor » s’efforce aussitôt de la débarrasser, avec l’espoir d’y trouver quelque bon morceau.


Rudement, Marie le frappa sur les doigts pour l’obliger à lâcher ses paquets.

— A bas les mains ! lui dit-elle. Cela n’est pas pour toi, ce sont des choses pour la générale ! Ta nourriture, à toi, se trouve ailleurs. Tiens, je l’ai soigneusement préparée pour toi !

Et, pleine de tendresse, elle ajouta :

— Attends une minute, mon Heinrich, tu vas pouvoir te régaler ! Mais écoute, — murmura-t-elle dans l’oreille du fusilier, — arrange-toi pour