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entrons dans les faits du jour : il s’agit d’une opération qui n’est pas terminée, nous serons donc très bref. Mais il ne peut y avoir aucun inconvénient à dire ce que tout le monde voit. À mesure que nous remontions de l’Ouest vers le Nord, l’ennemi allongeait son front de bataille et remontait avec nous pour nous faire face. Poursuivant notre manœuvre, nous montions encore : il continuait de monter aussi. Peu à peu, le combat se ralentissait sur le reste du champ de bataille, au centre surtout : évidemment, l’ennemi puisait là des hommes pour les porter sur un nouveau front et nous faisions de même. Il semblait qu’une immense pompe aspirante attirât les deux armées, d’abord dans la direction de l’Oise et de la Somme, puis aux sources de l’Escaut, puis plus au Nord encore. On a signalé enfin d’importantes masses de cavalerie allemande du côté d’Armentières. D’où venaient-elles ? De Belgique sans doute. Que couvraient-elles ? Qu’annonçaient-elles ? On ne le sait pas, on ne nous le dit pas encore. Quoi qu’il en soit, la bataille principale s’est complètement déplacée ; elle n’est plus sur l’Aisne, bien qu’on continue de s’y battre, ni sur la Meuse où la vigueur du combat s’est à peine ralentie. Elle est sur un point difficile à déterminer exactement entre Lille, Armentières, Maubeuge, et aussi du côté de Roye où l’ennemi essaie visiblement de rompre et d’enfoncer notre ligne. C’est sur ces points que tous les regards se portent. La bataille s’y poursuit avec acharnement, et rien n’est plus naturel, car les conséquences de la victoire ou de la défaite seront très graves, sans toutefois être décisives. Il n’est pas douteux que les deux armées se sont ménagé, ont préparé derrière elles de nouvelles lignes de défense, où elles prolongeront la lutte avec la même obstination dont elles viennent de donner la preuve éclatante. La conclusion est que la guerre sera longue et que M. le Président de la République a eu grandement raison de dire que la victoire sera « le prix de la persévérance et de la ténacité. »

Mais quelle guerre ! Du côté allemand, elle continue d’être atroce. On cite tous les jours des exemples nouveaux de la férocité sauvage qui fait vraiment de nos ennemis ceux de l’humanité elle-même. Parmi les documens tombés récemment entre nos mains, on a trouvé un journal de route dans lequel un officier du 178e régiment d’infanterie (12e corps d’armée saxon) écrivait ses impressions au jour le jour : et c’est, soit dit en passant, un trait curieux de la psychologie allemande que cette démangeaison d’écrire qu’éprouvent et à laquelle cèdent tous les soirs les officiers d’une armée pourtant si occupée. Les nôtres croient avoir mieux à faire, ne fût-ce que de dormir quand ils le peuvent. Il faut