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campagnes soufflent et respirent, où les soirées sont longues, les matinées tardives, où les veillées forment un cercle autour de chaque foyer. Quel plaisir de voir alors s’encadrer dans la porte, à jour et à heure fixe, comme le coucou d’une horloge, le personnage prestigieux qui apporte les nouvelles du monde ! Que de choses merveilleuses dans sa bibliothèque ambulante ! Almanachs, alphabets, vieux romans populaires, images de l’année, images d’autrefois, clef des songes, batailles, victoires, légendes, que n’y a-t-il pas dans ce trésor ! Et puis, le voilà reparti, le robuste colporteur, pareil à ce Juif Errant dont il est tant question dans ses papiers ; voilà reparti le marchand d’images, l’humble magicien, laissant dans la maison, en échange de quelques sous, l’aliment des songes d’une année, tout un trésor de poésie.

Tout cela, j’en ai peur, est fini, bien fini. C’est dommage. Il parait que l’industrie de l’imagerie populaire est plus prospère que jamais, occupe plus de monde, fait de meilleures affaires. Mais Jean-Charles comptait davantage dans la vie française avec ses deux ouvriers et ses deux presses à bras. L’image d’Epinal est une chose du passé. Elle restera un document sur la France d’autrefois. Elle était, cette image, optimiste, gaie, pimpante. Elle n’était jamais à court de contes et d’histoires. Elle n’était pas belle, mais elle n’était point vulgaire. Elle pouvait paraître barbare, mais elle n’avait pas la perfection stupide de la chromo. Elle donnait aux simples l’image du monde qui leur convient : une image simplifiée, tonifiante, héroïque. Elle était, dans la France moderne, un dernier reste de l’ancienne France : avec son vieux nom mystérieux de Saints, ses belles légendes, ses vieux bois, elle demeurait le dernier souvenir encore vivant de la tradition gothique.


LOUIS GILLET.