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EN EXTREME-ORIENT.

les élémens hétérogènes qui n’essayaient même pas de se réunir pour s’opposer à leur invasion. Le cas échéant, ils les utilisaient aux fins de leur politique. Ils étouffaient la concurrence en offrant à leurs concurrens des situations subordonnées plus avantageuses que leur indépendance, et même si avantageuses que ceux qui les acceptaient ne pouvaient guère se dissimuler qu’ils vendaient un peu plus que leurs honnêtes services. Leur plan n’était point de faire travailler les autres, car ils ne reculaient pas devant la besogne, mais de réduire les autres à ne travailler qu’avec eux et sous eux. Ils accaparaient les produits étrangers, dont la marque était plus estimée que la leur, et les vendaient à perte pour les noyer dans leurs contrefaçons. On me citait l’exemple d’articles français de parfumerie achetés par des maisons de Hambourg et revendus à bas prix aux marchands japonais et chinois qui s’engageaient, contre un tiers de ces produits, à en prendre deux de leurs ignobles essences.

Tsing-Tao était la base militaire de leurs opérations commerciales et intellectuelles. Leur industrie et leur science progressaient sous le patronage de leurs mortiers et de leurs mitrailleuses. Elles se tenaient étroitement. Derrière les Ecoles de Médecine qu’ils avaient ouvertes, leurs fabricans d’instrumens de chirurgie et leurs chimistes de laboratoires préparaient leurs caisses de livraison. L’industriel subventionnait le professeur. L’homme de science aux lunettes d’or touchait le tant pour cent sur les commandes qu’amenait son enseignement. Ils venaient d’adjoindre à celle de Shanghaï une École des Arts et Métiers. Comme l’écrivait un grand journal allemand, l’Ostasiatischer Lloyd, les Chinois allaient apprendre, sous une direction allemande, les méthodes de la technique moderne ; et ce qu’ils auraient vu dans les ateliers leur servirait de thème pour proclamer la bonté du matériel allemand, la solidité du travail allemand et l’intelligence supérieure de l’effort allemand. »

Ils s’étaient emparés de l’idée de Science. De même que le catholicisme compromettait dans les mains de leurs missionnaire son caractère universel, ils l’avaient vidée de toute générosité humaine, et ils en avaient fait à leur profit une énorme Idole. Entre les Chinois que j’avais entrevus jadis, au temps où M. Pinon écrivait La Chine qui s’ouvre, et les Chinois que je revoyais aujourd’hui et qui, paraît-il, étaient en république, je n’observais aucune différence apparente, sauf qu’ils avaient