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que son œuvre constitue pour la volonté le stimulant le plus énergique que je connaisse. Surtout je lui pardonne, parce que, après tant d’autres, il a découvert la Méditerranée, et que la Méditerranée a été pour lui la bonne maîtresse qu’elle fut pour tous les individus et pour tous les peuples destinés à l’empire.


Il la connaissait bien, ou, tout au moins, la partie la plus belle de la Mer latine. Il fit de longs séjours à Nice, à Menton, à Gênes, à Rapallo, à Rome, à Naples et à Messine. Ayant traité avec le patron d’un bateau voilier, il alla même, par mer, de Gênes en Sicile : prouesse vraiment héroïque pour un malade comme lui. Peut-être lui manque-t-il d’avoir visité la Corse, les Baléares, certaines régions de l’Espagne, où il eût rencontré des types d’humanité selon son cœur, ce qu’il appelle des « têtes dures, » des « natures naturelles, » des caractères intacts, farouchement fermés à l’influence étrangère. Mais il est à noter qu’en Italie, sur la côte ligure, ou bien sur la Riviera provençale, il a recherché d’instinct les paysages les plus rudes en même temps que les plus splendides, les villes à la fois les plus modernes et les plus riches en souvenirs du passé, actives, intelligentes, artistes, âpres en affaires, comme elles le furent, autrefois, en politique. C’est pour cela que Gênes, la cité patricienne et marchande, lui plait tant. La mollesse de Naples le dégoûte, et il ne peut pas s’acclimater à Rome. L’empreinte du catholicisme, qu’il y voit partout, lui cache la tension et la dureté romaines.

C’est que la Méditerranée n’est point, pour lui, ce qu’elle est pour les badauds du snobisme ou de la littérature. Pourquoi donc l’aime-t-il ? Ecoutons-le nous le dire. Il l’a dit en une formule des plus heureuses, qui résume tout le sens de son œuvre, et qui devrait lui servir d’épigraphe : « J’aime, dit-il, le Midi (le Midi méditerranéen) comme une grande école de guérison de l’esprit et des sens, comme une excessive abondance de soleil, qui jetterait ses rayons transfigurés sur une existence orgueilleuse, pleine de foi en soi-même [1]. » Ainsi, le Midi, pour Nietzsche, est avant tout une école. L’Italie, en particulier,

  1. Par delà le bien et le mal, p. 284.