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et Druses en les opposant les uns aux autres, réussirent à fortifier momentanément leur situation en désarmant successivement chacun de ces deux peuples avec l’aide de son rival. Cette politique de division ne manqua pas d’attiser les haines religieuses en inspirant aux Druses un vif désir de vengeance. Cependant, lors de l’offensive ottomane, en 1839, le Liban, exaspéré par un régime d’oppression et excité par les agens de l’Angleterre, se souleva tout entier, dans un mouvement national et populaire.

La Syrie sortit profondément troublée de la crise de 1840. Mettant à profit l’atteinte qui y fut portée au prestige de la France, l’Angleterre, s’érigeant en champion de la nation druse, mena tout à coup une politique singulièrement active au Liban où l’influence française était jusqu’alors sans rivale. Elle contribua à faire destituer, puis exiler l’Emir Béchir [1] devenu, à la longue, suspect à tous. Il fut le dernier Émir de la Montagne, car la maladresse de son successeur allait aussitôt provoquer, dans ce pays divisé et agité, une véritable guerre civile marquée par les premiers massacres de Maronites : l’exclusion des Chéhab du gouvernement du Liban en fut la conséquence.

Les vingt années qui devaient encore s’écouler avant l’époque des grands massacres représentent une période de transition anarchique pendant laquelle l’ancien état de choses se désorganisait sans qu’un nouveau se fût encore substitué à lui. Tout y concourait à préparer les sanglans événemens qui, par l’excès même du mal, allaient apporter quelque remède à cette lamentable situation.

Le désordre dont souffrait le Liban, continuel prétexte à l’intervention de la Porte, offrait à celle-ci une occasion propice pour réaliser son vieux désir de ruiner l’autonomie de la Montagne en abolissant les antiques privilèges devant lesquels venait se heurter l’exercice de sa pleine souveraineté. Exciter les dissentimens des Libanais, leurs haines de religion, de classes ou de partis, laisser le désordre y grandir, éviter, tout en sauvegardant les apparences, de rétablir l’ordre, prouver, en un mot, l’incapacité du Liban à s’administrer lui-même et saisir le prétexte de troubles graves pour s’emparer de son gouvernement, telle allait être la base de sa politique. Ces tentatives auraient

  1. L’Émir Béchir, d’abord exilé à Malte, se rendit ensuite à Constantinople, où il mourut en 1850.