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guliers courent. Un jour M. Tisza a dit à la tribune que l’Autriche-Hongrie était une monarchie dualiste, avec une insistance qui semblait signifier que le sort de la Hongrie n’était pas indissolublement uni à celui de l’Aulriche. On aurait tort d’attacher une importance trop précise et surtout trop immédiate, à des symptômes d’un caractère aussi vague, mais on aurait tort aussi de n’en tenir aucun compte : nous vivons en un temps où tout arrive. On connaît le vieux mot que l’Autriche, autrefois, devait « étonner le monde par son ingratitude. » S’il lui arrivait un jour de se séparer de l’Allemagne, ce n’est certainement pas d’ingratitude qu’on pourrait l’accuser.


Sur mer, la lutte se poursuit dans les conditions les plus favorables. Faut-il même dire qu’elle se poursuit ? En réalité, elle est finie, ou du moins une de ses phases principales est finie. Ici encore on ne pouvait pas s’attendre à de grandes batailles, puisque la flotte allemande continue de se cacher prudemment et obstinément dans les canaux, les fleuves et les ports. M. Winston Churchill a bien dit qu’il irait l’y chercher, comme le chien ratier va chercher les rats dans leur trou, mais il n’en a encore rien fait, et l’entreprise serait peut-être plus coûteuse que profitable. Il y aurait sans doute pour les Anglais, et aussi pour nous, un grand intérêt d’avenir à détruire la flotte allemande : aussi ne s’y exposera-t-elle pas. Au surplus, ce qui nous importe, pour le moment, est d’avoir la maîtrise, c’est-à-dire la liberté de la mer, et nous l’avons. Jusqu’à ces derniers temps, nous ne l’avions pas pleine et entière. La supériorité de nos flottes réunies sur celle de l’ennemi était incontestable, mais il suffisait que quelques vaisseaux de guerre allemands sillonnassent encore la surface des mers pour inquiéter d’une manière sérieuse la sécurité de nos transports. Il faut rendre aux marins allemands la justice qu’ils sont d’une habileté et d’une audace remarquables. Avant qu’ils eussent réussi à prendre l’Emden, les exploits de ce croiseur dans le Pacifique avaient si fort frappé les Anglais, grands amateurs de tous les sports, qu’ils ont annoncé l’intention, quand son commandant prisonnier viendrait en Angleterre, de l’y recevoir avec honneur. Ils continuent d’admirer le courage au milieu des horreurs de cette guerre, et il faut d’ailleurs convenir que ce n’est pas sur mer qu’elles se passent : l’occasion ne s’en présente sans doute pas. Quoi qu’il en soit, l’Océan Pacifique n’était pas sûr aussi longtemps que l’Emden y promenait son drapeau, ou même un autre drapeau que le sien : il paraît que les stratagèmes de ce genre sont autorisés dans la guerre