Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de populations cultivées avaient été asservies par des populations incultes, à commencer par Rome et par Byzance.

L’opinion qui eut cours en Europe sur les causes de la prospérité de l’Allemagne impériale, opinion qui s’incrusta particulièrement dans les esprits allemands, au point de rendre la guerre populaire chez ceux-là même qui devaient la craindre le plus, provient d’une espèce de coïncidence entre cette prospérité grandissante et la guerre de 1870. C’est comme si l’on attribuait à l’empereur Sigismond (1411-1437) quelque influence sur l’invention de l’imprimerie parce qu’elle eut lieu sous son règne ; comme si les Anglais faisaient honneur à George III et à la guerre de Sept Ans des premières machines à vapeur construites à cette époque, et comme si nous-mêmes établissions un lien quelconque entre les principes de 89 et les découvertes scientifiques du XIXe siècle. Cette association d’idées qui fait bénir le gouvernement quand les récoltes sont abondantes a été celle des Allemands d’hier, qui voulaient voir dans le gain des batailles de 1870 la cause des gains industriels et commerciaux de 1914.

Ceux qui pensaient ainsi avaient oublié, ou connaissaient bien mal, leur histoire. Ni le traité de Francfort, malgré les clauses douanières qu’il avait stipulées, ni l’indemnité de 5 milliards de francs payée par la France, — 5 milliards qui, du reste, en ont coûté 60 à l’Allemagne depuis quarante-quatre ans, avec son système de paix armée, — n’avaient procuré aucun profit véritable à nos ennemis.

Il y eut chez eux, entre 1871 et 1875, tant de ruines qu’un publiciste écrivait alors : « Il est heureux que la France ne nous ait donné que cinq milliards ; si elle nous en avait donné dix, nous tendrions nos chapeaux le long des routes en demandant l’aumône. » D’autres allèrent jusqu’à prétendre que ces victoires dont ils étaient si fiers avaient été funestes au point de vue économique. La vérité est que, pendant les sept ou huit ans qui suivirent la guerre, — la Schwindelperiode, période de vertige ou de flibusterie, — l’industrie ne fit presque aucun progrès au delà du Rhin, et l’Allemagne fut forcée d’aller acheter au dehors les produits manufacturés dont elle avait besoin.

Ce brusque cadeau d’une grosse somme d’argent monnayé provoqua une inflation des prix, une augmentation temporaire des importations, nullement due à une amélioration du commerce