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Si l’Europe continuait à être un camp armé parce que la victoire des Alliés n’aurait pas été décisive, quels que fussent les changemens dans la carte, il n’en résulterait pas un changement radical de nature économique ; le fardeau militaire serait autant ou plus lourd encore pour l’univers. Il y aurait un taux d’intérêt plus haut et de moindres économies. Durant la dernière année de paix, les grandes nations ont dépensé, pour les chapitres militaires, l’énorme somme de 10 milliards de francs. Imaginez ce qu’il arriverait si la plus grande partie de cette somme, au lieu d’être appliquée à la destruction, servait à développer les ressources naturelles du globe : abondance du capital, taux d’intérêt peu élevé et sans doute baisse de prix de la vie. Ajoutez à cela les millions d’hommes qui composent les armées actuelles sur le pied de paix, servant désormais à accroître la production : l’Europe ne serait pas longue à réparer ses plaies, et le monde entier bénéficierait de sa prospérité par les placemens qui seraient faits dans les contrées jeunes, encore dénuées de capitaux.

C’est donc l’univers qui profitera de la guerre, autant que les Alliés, s’ils sont vainqueurs ; le monde est intéressé à leur victoire autant qu’eux-mêmes, puisqu’il est clair que, si l’Allemagne l’emportait, l’Allemagne prussienne de fer et de sang, fondée par Bismarck en 1863, nul ne suppose qu’il lui agréerait d’abandonner l’épée avec laquelle elle aurait conquis la domination et, si l’Allemagne gardait son armée et sa marine sur un pied égal ou supérieur, les nations voisines ne pourraient adopter une autre méthode.

Si le désarmement est la seule solution profitable, c’est aussi la plus difficile ; les Allemands ne s’y résigneront qu’à la dernière extrémité ; lorsqu’ils auront perdu l’espérance de vaincre, lorsqu’ils se seront résignés à céder des territoires et de l’argent,-ils se battront néanmoins avec l’énergie du désespoir pour ne point renoncer au militarisme et conserver ainsi au lendemain l’espérance de pouvoir se battre encore. Précisément pour ce motif, le désarmement sera la solution la plus longue et la plus coûteuse à obtenir. Mais, de quelque prix qu’on le paye, comme sans lui toute victoire serait une duperie, les générations à venir ne trouveront pas qu’il ait jamais été payé trop cher.

Dans le domaine des idées, supérieur aux intérêts matériels,