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l’Alsace tout entière et une grande partie de la Lorraine allaient nous être arrachées avec leur population ; mais tant de sacrifices ne devaient cependant pas nous rendre injustes envers les négociateurs qui avaient conjuré d’autres périls. Si Metz était menacé, Belfort nous était rendu. En écoutant ces paroles, l’Assemblée était houleuse comme une mer que bouleverse un vent orageux. J’entendis crier : « C’est une honte ! » et M. Thiers répondre avec vivacité : « Que celui qui parle de honte se lève ! — La honte, répliqua le comte de Maillé, est pour ceux qui nous ont amenés là ! — Et pour ceux, ajouta l’amiral Saisset, qui ne se sont pas battus ! » Victor Lefranc termina son discours en invitant ses collègues à ne pas s’abriter derrière une abstention qui, à son avis, n’était que la désertion du devoir et la peur de la responsabilité. Il y avait là quelque exagération, car des hommes tels que MM. Aubry, Buffet, Charrette, de Chaudordy, le général Deligny, Léonce de Lavergne, de Ravinel et quinze autres qui allaient s’abstenir, n’étaient, certes, ni des déserteurs ni des lâches. On a dit que M. Thiers avait engagé les princes à s’absenter de la séance pour s’abstenir plus facilement. Cela est faux. Leur non-validation a été la seule cause de leur abstention.

A Victor Lefranc succéda Edgar Quinet, qui ne fit que des phrases pompeuses où il dénonçait le droit nouveau allemand, qui unissait la haine féodale à la haine de race. Puis vint le docteur Bamberger, qui déchaîna, dès ses premiers mots, une véritable tempête. Il déclara qu’un seul homme devait signer cet odieux traité : « Cet homme, c’est Napoléon III, » et presque toute l’Assemblée l’applaudit frénétiquement.

Galloni d’Istria, Conti, Gavini, Haentjens, le comte Murat l’interrompirent aussitôt. Conti se précipita à la tribune et en écarta vivement Bamberger. Alors Jules Simon, Langlois, le duc de Marmier, Vitet, le marquis de Franclieu, Victor Hugo, Dufaure, Schœlcher, Bethmont, Target et beaucoup d’autres lui crièrent de descendre. Conti se cramponna à la tribune, malgré les efforts de quelques représentans qui l’en voulaient arracher. Il se carra ensuite dans le fond, prêt à repousser par la violence ceux qui le menaçaient. C’étaient des cris, des murmures, des protestations, des interruptions, des mouvemens désordonnés, et le président Grévy, sans s’émouvoir, laissait dire, laissait faire. Le bruit était immense. On n’entendait pas Conti qui