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si dévoué, si courageux de Strasbourg, n’avait pu survivre au vote des Préliminaires. Le 3 mars, Henri Martin annonçait en ces termes sa mort à l’Assemblée émue : « En 1792, la période héroïque et victorieuse de la Révolution française, disait-il, s’est ouverte dans la maison d’un maire de Strasbourg par le chant sublime qui a rejeté du sol de la patrie les ancêtres de nos envahisseurs. En 1871, la période des calamités de l’Empire s’est fermée, et la période de réparation et d’expiation s’ouvre dans la tombe d’un autre maire de Strasbourg. Il est mort, lui, de la douleur d’avoir vu les efforts de la France impuissans à chasser l’étranger de sa ville natale. Que ce grand citoyen emporte au moins dans le tombeau le regret de la France entière ! Je prie l’Assemblée de s’unir au deuil de l’Alsace par un vote unanime de douleur et de regret. » Et toute l’Assemblée se leva pour adhérer à cette noble inspiration ; puis, sur la proposition d’Eugène Pelletan, elle décida que les frais des funérailles seraient supportés par la nation.

Le matin même de la séance, le corps du docteur Küss avait été conduit de sa demeure, rue David-Johnston, à la gare du Midi, pour être transporté à Strasbourg. Une foule nombreuse avait suivi le char funèbre, dont Gambetta, Bethmont, Tachard et Fourcand, maire de Bordeaux, tenaient les cordons. Le Conseil municipal tout entier, plus de trois cents députés et quelques ministres s’étaient associés à ce deuil public. Un discours du pasteur Pélissier avait pris Dieu à témoin des violences barbares dont Strasbourg et son maire avaient été victimes, et avait attesté la liberté inéluctable des peuples et de la conscience humaine. Le procureur général de la Cour d’appel de Paris, M. Leblond, avait, sous le péristyle de la gare, prononcé d’émouvantes paroles patriotiques. Enfin Gambetta, dans une improvisation ardente, avait remué toute l’assistance. « La force nous sépare de l’Alsace, avait-il dit, mais pour un temps seulement, car nous reprendrons ce berceau traditionnel du patriotisme français. Nos frères de ces contrées malheureuses ont fait dignement leur devoir et jusqu’au bout. Qu’ils se consolent en pensant que la France ne saurait avoir d’autre politique que leur délivrance ! Or, pour atteindre ce résultat, il faut que les républicains oublient leurs divisions et s’unissent dans la pensée patriotique d’une revanche qui sera la protestation du droit et de la justice contre la force et l’infamie ! »