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de réorganiser, c’est-à-dire de libérer le territoire, de rétablir les services financiers, de renommer les corps électifs, de rappeler les prisonniers, de recomposer l’armée ; et sur ce programme, il obtint un assentiment unanime. Marchant alors sur un terrain brûlant, il ne craignit pas d’attester que les représentans étaient divisés, parce que le pays l’était lui-même ; divisés en deux grands partis : celui de la monarchie constitutionnelle, et celui de la République. Et, cependant, ils s’étaient unis en honnêtes gens pour refaire la France, et différer le jour où on lui donnerait une Constitution. Il comprenait que ces paroles étaient faites pour émouvoir, pour heurter certains esprits, et dans un élan oratoire qui fît frémir toute l’Assemblée, il s’écria : « Moi-même, si je cédais aux mouvemens de mon âme impétueuse, je m’animerais ; mais tout à coup, je rentre en moi-même, je songe aux grands devoirs que vous m’avez imposés, et je contiens les mouvemens de mon cœur. » Puis, allant droit à la question qui préoccupait tous les représentans, il promit solennellement de ne point préparer une solution exclusive qui désolerait les autres partis. Il jura devant l’Histoire de ne tromper personne, et il répéta : « Monarchistes, républicains, non, ni les uns, ni les autres, vous ne serez trompés ! Nous n’avons accepté qu’une mission déjà assez écrasante : la réorganisation du pays. Nous ne travaillons qu’à cette œuvre assez difficile. » Et, continuant ce discours, chef-d’œuvre d’habileté politique et oratoire, il osa dire que la réorganisation se ferait sous la forme de la République, et à son profit. Mais aux républicains, il adressa cet avertissement très net : « La République est dans vos mains. Elle sera le prix de votre sagesse et pas d’autre chose. : Toutes les fois que vous paraîtrez les confidens ou les complices des hommes de désordre, dites-vous bien que vous portez à la République le coup le plus violent qu’elle puisse recevoir ! »

Et résumant sa pensée, qui n’avait jamais été ni plus claire, ni plus hardie, M. Thiers dit en termes qui lui valurent d’unanimes applaudissemens : « Lorsque le pays sera réorganisé, nous viendrons vous dire : vous nous l’avez confié sanglant, couvert de blessures, vivant à peine : nous vous le rendons ranimé. C’est le moment de lui donner sa forme définitive, et je vous en donne la parole d’un honnête homme, aucune des questions qui aura été réservée n’aura été résolue ; aucune solution n’aura été altérée par une infidélité de notre part.