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slaves que d’Italiens ; à mesure que l’on descend de Trieste vers Cattaro, la proportion devient plus faible encore, et dès que l’on s’enfonce à l’intérieur du pays, l’élément italien disparaît. D’une première croisière en Dalmatie, j’avais rapporté le souvenir de villes prospères et pleines de fleurs, favorisées par la nature et le commerce, où hôteliers, négocians, matelots, tout le monde parlait italien. Impression superficielle, car, deux ans plus tard, j’ai parcouru de nouveau la même côte, cette fois en automobile [1], et j’ai trouvé un pays pierreux et désolé, où nul des villageois, des paysans et des bergers rencontrés sur les routes ne comprenait un mot d’italien. Les irrédentistes le reconnaissent :

« Il ne faut pas se faire illusion, dit Pellegrini, sur la véritable situation de l’élément italien en Dalmatie : on trouve sur la côte et dans toutes les îles des oasis italiennes, mais l’intérieur du pays est slave. Slaves et Italiens doivent marcher d’accord, c’est la condition même de l’avenir de l’italianité, la langue italienne demeurant la langue de la culture, des affaires, du commerce. Mais il n’y a pas de place pour l’Allemand [2]. »

Les sentimens italiens sont entretenus par plusieurs importans journaux comme l’Indipendente et surtout Il Piccolo de Trieste. Ces feuilles affectent de considérer comme étrangers les événemens qui, dans la double monarchie, ne les concernent pas directement ; en fait de questions politiques, sociales, littéraires, elles semblent ne relever que de la Péninsule, donnent en première page les nouvelles de Rome, les comptes rendus des Chambres italiennes. Elles ont parfois maille à partir avec les autorités impériales qui les ont suspendues à plusieurs reprises. Les habitans de Trente et de Trieste s’intéressent de même aux événemens du royaume : ils prirent le deuil à l’occasion de la mort du roi Humbert, — la ville de Trieste télégraphia « à son Roi ; » — lors des tremblemens de terre de Calabre, les municipalités votèrent des subventions aux victimes, etc.

Ainsi, dans le Sud-Tyrol comme le long du littoral, les

  1. Il n’est d’ailleurs guère possible de visiter le pays autrement, car, comme le notait un industriel autrichien, M. Neustadtl, « l’Abyssinie même possède un réseau ferré plus perfectionné que la Dalmatie dont la capitale, Zara, résidence du Gouvernement, n’a encore jamais entendu le sifflet d’une locomotive. » Concentrant tous ses soins sur la région maritime, l’Autriche-Hongrie a complètement négligé de mettre en valeur l’arrière-pays.
  2. Pellegrini, Verso la guerra, p. 224.