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l’Aube, de la Marne, de la Vesle, de la Suippe, de l’Aisne, tracent pourtant de larges fossés Est-Ouest qui interrompent des mouvemens du Nord au Sud ou du Sud au Nord comme ceux de la guerre actuelle. Mais, quand on se dirige sur Paris depuis la Lorraine ou l’Argonne suivant la marche normale des armées ennemies, c’est surtout à l’extrémité Ouest de cette plaine, au pied de la falaise tertiaire et, notamment, à la rencontre de cette falaise avec les vallées transversales épousées par les voies ferrées, à Fère-Champenoise, à Epernay, à Reims, à Craonne, que les points de défense sont indiqués contre un envahisseur supérieur en nombre. Nous venons d’assister, sur cette bordure tertiaire, à bien des combats.

Comme nous le remarquions plus haut pour le pied occidental des Vosges et la région de Lunéville, les attaques humaines semblent ici encore avoir été précédées et préparées par le formidable assaut des eaux quaternaires allant aussi dans le sens de Paris et détruisant, elles aussi, les obstacles rencontrés sur leur passage, ces couches tertiaires qu’il faut se représenter superposées jadis à presque toute l’étendue du socle crétacé. Les rivières de Champagne sont aujourd’hui peu de chose en temps normal, quoiqu’elles décrivent, à travers les solitudes, des rubans de verdure et de vie ; mais ces minces cours d’eau, toujours prêts à se dérober sous terre, ont hérité d’anciens lits gigantesques. Près de Méry-sur-Seine, les alluvions anciennes de la Seine occupent plus de 10 kilomètres de large. Sur le Petit-Morin, les marais de Saint-Gond, où fut rejetée avec pertes la garde prussienne, couvrent un bas-fond d’alluvions tourbeuses large de 5 kilomètres. La vallée de la Marne en a couramment 4 à 5 de Châlons à Epernay, et l’on trouve la même disproportion pour les filets d’eau que sont aujourd’hui la Coole, la Berle, la Somme-soude, la Vesle, etc. Tous ces lits de rivière vont en grossissant rapidement vers l’Ouest, où se trouve l’obstacle du massif tertiaire, contre lequel les eaux courantes se sont heurtées autrefois et dans lequel, se faisant toutes minces, elles ont réussi avec peine à s’infiltrer. Le dernier grand combat géologique a eu lieu sur la bordure, aux points où ont lieu de nos jours les combats humains. Il s’est passé là ce que nous voyons se reproduire chaque jour sur nos côtes escarpées de la Seine-Inférieure, à Etretat, à la Hève, où la mer, s’attaquant à la falaise, y dessine d’abord ce qu’en terme de mineur