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avec un trou gros comme le poing. Et ils sont blessés depuis trois jours. A peine sortis de la voiture, et encore étendus sur le brancard dans notre vestibule, c’était à qui raconterait avec le plus d’entrain et de gaieté le beau combat où « ils ont eu ça, » la reprise de la Ferme de Metz, lundi 2, sur le coup de minuit. Ils rient encore de la peur qu’ils ont faite aux Boches : « Dès qu’ils voient des zouaves, ils jettent leurs fusils en criant : « Kamarades... ! » J’ai eu le bonheur d’en embrocher un.. : A trois, nous en avons pris une trentaine... Un qui se rend, il y en a dix qui suivent. »

En allant les revoir cet après-midi, j’en trouve un dans une chambre où il ne risque pas de perdre son entrain. Trois Anglais y chantent joyeusement, aux applaudissemens d’un Tunisien et de quatre Français. Un de ceux-ci et un Anglais s’occupent, en riant, à tricoter. C’est l’infirmière qui le leur a enseigné. Voilà une bonne distraction, et que je préfère aux cartes, aux dames, aux puzzles ou patiences. Elle n’est pas encore assez répandue ; il n’y a guère à s’y livrer, jusqu’ici, qu’une vingtaine de blessés, presque tous Anglais.

Contrairement à ce qu’on pensait d’eux en France avant de les avoir vus de près, les Anglais se font remarquer par leur animation. Peut-être à cause des maux que nous subissons de plus près, nous ne pouvons guère, et c’est trop naturel, aller plus loin que la résignation et le courage voulu. Ils vont, eux, jusqu’à la gaîté. Quel est ce jeune officier qui se promène en riant, un képi d’emprunt crânement campé sur l’oreille ? Un lieutenant anglais. Quels sont ces soldats qui, dans le corridor, jouent à sauter sur leurs béquilles ou à courir sur leur jambe de bois ? Des Anglais encore. Et ceux-là qui chantent avec force gestes, qui rient tout haut et cherchent à faire rire les autres ? Des Anglais toujours, à moins que ce ne soient, par hasard, des Tunisiens ou des nègres. Des Français, sûrement non. La Bruyère disait mélancoliquement qu’il faut rire avant d’être heureux, sous peine de mourir sans avoir ri : nous connaîtrons de nouveau le bonheur, et de nouveau nous rirons ; maintenant, non.

Quand je demande de leurs nouvelles aux Anglais, il faut qu’ils soient moribonds pour ne pas me répondre que ça va « joliment bien, » ou même « splendidement : » getting on nicely ; getting on splendidly. Dialogue d’hier, avec un amputé : « Comment êtes-vous ce matin ? — Je vais splendidement. —