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Ici, la matière qui doit fournir les principes, ce n’est plus l’expérience commune, celle que tout homme pratique spontanément dès qu’il est sorti de l’enfance ; c’est l’expérience scientifique. Aux sciences mathématiques, l’expérience commune fournit des données autonomes, rigoureuses, définitives. Les données de l’expérience scientifique ne sont qu’approchées ; le perfectionnement continuel des instrumens les retouche et modifie sans cesse, tandis que le hasard heureux des découvertes, chaque jour, de quelque fait nouveau en vient grossir le trésor ; enfin, bien loin d’être autonomes, d’être intelligibles immédiatement et par elles-mêmes, les propositions qui formulent le résultat d’une expérience de Physique ou de Chimie ne prennent de sens que si les théories admises en fournissent la traduction.

De cet inextricable lacis où s’enchevêtrent les données d’une sensation secondée par des instrumens de plus en plus compliqués avec les interprétations fournies par des théories variables et sujettes à caution, parfois par la théorie même qu’il se propose de modifier, le physicien doit extraire ses principes ; il doit, à l’inspection de ce mélange confus, deviner les propositions générales dont la déduction fera sortir des conclusions conformes aux faits.

Pour accomplir une telle œuvre, il ne trouverait dans la méthode déductive qu’une auxiliaire trop rigide et trop peu pénétrante ; il lui faut un moyen plus souple et plus délié ; plus encore que le mathématicien, le physicien, pour choisir ses axiomes, aura besoin d’une faculté distincte de l’esprit géométrique ; il lui faudra faire appel à l’esprit de finesse.


III

L’esprit de finesse et l’esprit géométrique ne marchent pas à la même allure !

Le progrès de l’esprit géométrique obéit à des règles inflexibles qui lui sont imposées par ailleurs. Chacune des propositions qu’il déroule les unes à la suite des autres a sa place marquée d’avance par une loi nécessaire. Se soustraire, si peu que ce soit, à cette loi, passer d’un jugement à un autre en sautant quelque intermédiaire requis par la méthode déductive, c’est, pour cet esprit, perdre sa force, qui est toute faite de