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Ainsi s’y est pris le génie si puissamment géométrique de Bernhard Riemann pour écrire un chapitre de profonde Algèbre auquel il a donné ce titre : Sur les hypothèses qui servent de fondemens à la Géométrie (Ueber die Hypothesen welche der Geometrie zu Grunde liegen).

Nous avons dit avec quel soin minutieux la connaissance intuitive des lignes et des surfaces avait été tenue à l’écart de la composition de cette doctrine. Est-il étonnant que les corollaires auxquels cette Algèbre aboutit, et qu’elle énonce avec des mots empruntés à la Géométrie, heurtent de front les propositions que la connaissance intuitive de l’espace regarde comme les plus certaines ? Qu’elle affirme, par exemple, la rencontre à distance finie de deux droites quelconques d’un même plan, qu’elle nie l’existence même des parallèles ?

La doctrine de Riemann est une Algèbre rigoureuse, car tous les théorèmes qu’elle formule sont très exactement déduits des postulats qu’elle énonce ; elle satisfait donc l’esprit géométrique. Elle n’est pas une Géométrie vraie, car, en posant ses postulats, elle ne s’est pas souciée que leurs corollaires s’accordassent en tout point avec les jugemens. tirés de l’expérience, qui composent notre connaissance intuitive de l’espace ; aussi révolte-t-elle le sens commun.


VI

Le Mémoire de Riemann sur les fondemens de la Géométrie est une des œuvres les plus justement célèbres de la science allemande ; il nous paraît un remarquable exemple du procédé par lequel l’esprit géométrique des Allemands transforme toute doctrine en une sorte d’Algèbre.

Aux deux méthodes à l’aide desquelles progresse toute science de raisonnement, cet esprit fait des parts extrêmement inégales ; il développe avec autant d’ampleur que de minutie la déduction par laquelle les corollaires se tirent des principes ; il supprime ou réduit à la plus mince place l’ensemble d’inductions, de divinations par lesquelles l’esprit de finesse a su, des données de l’expérience, dégager les principes.

Les hypothèses sur lesquelles repose une théorie quelconque de Mécanique ou de Physique mathématique sont fruits dont la maturité a été longuement préparée ; données de l’observation