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plaine où devait les rejeter pour un temps une vaillante épée française, mise au service des Grisons protestans. Je n’aurais pu trouver d’autre signe plus éclatant que l’évocation de ce deuil populaire pour donner l’impression directe de la grandeur d’une race qui, avant l’an mille, domina l’Engadine inférieure, établit ensuite sa puissance dans le Tyrol occidental et prit en main la clef des Alpes Rhétiques.

Le marquis Visconti Venosta portait en lui l’empreinte de sa haute naissance. La taille imposante, la chevelure complétée par de larges favoris, que nous avons connus blancs et soyeux comme des flocons de neige, le teint délicat, les yeux singulièrement perçans, le port majestueux, la voix grave composaient un ensemble qui faisaient silencieux et timides les plus arrogans. Lorsqu’il se levait dans les congrès et dans les parlemens, dominant même physiquement l’assistance, une atmosphère de respect l’entourait aussitôt. Tel il apparut à notre génération, qui vit en lui le véritable président de la Conférence d’Algésiras. Or ce patriarche, ce doyen des hommes d’Etat de l’Europe, avait été le plus audacieux des jeunes hommes novateurs. Il n’avait pas vingt ans lorsqu’il prit part, presque comme un chef, à l’insurrection de 1848, par laquelle les Lombards secouèrent un instant le joug autrichien. Quand, quelques mois plus tard, le manque de préparation de la part des insurgés et de détestables levains de discorde laissèrent presque seule la vaillante armée du roi Charles-Albert en face des forces renaissantes de l’Autriche, il comprit que l’heure de se battre était revenue. Il revêtit une humble capote grise, prit un fusil et, à la veille de la reddition de Milan, se rendit à Bergame où le général Garibaldi, arrivé d’Amérique et alors assez peu connu, essayait d’organiser une légion. Garibaldi l’accompagna chez le capitaine Medici, le futur général, auquel il dit simplement : « Voici un jeune homme qui veut mourir avec nous. » Ce fut un effort soutenu avec beaucoup de vaillance, mais voué à l’insuccès par la situation générale de l’Europe. Bientôt Visconti Venosta se vit forcé, ainsi que ses camarades, de franchir la frontière du canton du Tessin et de se réfugier en Suisse.-

Il subissait en ce temps-là l’influence de Mazzini, et à l’école du conspirateur génois il se prenait, lui aussi, malgré sa forte empreinte aristocratique, à souhaiter l’établissement d’une démocratie populaire sous le nom de République italienne.