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de la Paix. Napoléon III lui-même, tout en aventurant l’armée, à l’aveuglette, en Crimée, en Italie, au Mexique, prétendait bien ne pas trahir la promesse de ses débuts et se flattait d’établir, à la fin, la paix impériale.

« Mais il s’est trouvé en Europe un souverain et un ministre qui ont relevé le vieil héritage tombé à terre de Louis XIV et de Louvois, et qui ont repris les vieilles idées, la vieille ambition, les vieilles convoitises. Cette restauration d’un passé détesté nous est revenue de la Prusse, comme si l’intelligence de la Prusse était en retard sur celle des autres peuples. Tandis que toute l’Europe comprenait depuis longtemps que la vraie grandeur des nations consiste dans leur travail, dans leur prospérité, dans le progrès régulier de leurs institutions libres, dans le développement de leur esprit, dans l’équilibre de leur conscience, tandis que tout ce qui était intelligent en Angleterre et en France, même en Allemagne, était unanime à reconnaître que les destinées des nations sont dans la paix et dans la liberté, )a Prusse en était encore à croire que la grandeur tient au nombre des armées, et que la gloire dépend de la force et de la violence. Elle en était encore à mettre son ambition à être une grande puissance militaire. Au moment où l’esprit de travail prévalait dans toute l’Europe, l’esprit de conquête régnait encore à Berlin. C’est par la Prusse que la vieille politique d’envahissement a reparu dans le monde. »

Au service de cette politique de conquête et d’envahissement, la Prusse, nous disait le logicien de l’histoire, a mis, non plus comme Louis XIV, une raison d’intérêt dynastique, de gloire royale, de droit divin, mais le prétexte spécieux de la grandeur de la patrie, mais les principes d’unité et de nationalité allemandes. Toute la race germanique a dû se plier à cette conception, y asservir son âme et ses moyens. Tout homme, né Allemand, a été appelé à se faire soldat pour cette cause et s’est persuadé qu’il était « tenu de devenir un conquérant et un envahisseur à la suite du roi de Prusse et du ministre prussien. » Si la morale répugnait à une telle conception, était-il donc si malaisé de faire taire la morale ? Par bonheur, au-dessus d’elle, « il y a la piété, et il y a le doigt de Dieu... Qu’on ne parle plus du Droit ; la religion commando. La conquête et l’occupation sont un devoir providentiel... Marchez donc devant vous, ô roi pieux, et ne vous inquiétez ni du sang ni des ruines ; c’est