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sur la destinée des peuples. Je remarquai le profond recueillement des assistans et la tristesse des femmes qui se regardaient avec inquiétude. La grande-duchesse Constantin avait fermé les yeux... Quelques jours encore, et son fils allait tomber en Pologne, tué par les balles allemandes. Le pasteur commença, alors, avec beaucoup de gravité, un sermon sur l’humilité et sur l’oubli de ce sentiment dans le bonheur matériel. Jamais sujet n’avait été mieux choisi pour une société ivre de bien-être. Ces mots sonnaient comme le vain cri de conscience d’un isolé dans ces jours fiévreux où, dehors, dans les grandes villes, l’orgueil germanique avait atteint ses ultimes limites.

A la sortie, le public se dispersa lentement et la journée se passa sans incident. Le matin du mardi, 27 juillet, deux messieurs, porteurs de valises, montèrent de la rue vers le parc de l’hôtel. Je reconnus, en ces ternes silhouettes civiles, les séducteurs de naguère, les hussards de la Mort. Ils étaient venus faire des visites, avaient loué d’avance, par téléphone, des automobiles pour une excursion avec les dames qui les avaient charmés et déclarèrent que, définitivement dispersés, ils étaient en congé régulier pour un certain temps. Cette apparition confirma encore les nouvelles rassurantes qu’on avait reçues de Paris, car il nous fut impossible d’admettre que des officiers, désignés parmi les plus distingués, pussent ainsi courir les aventures mondaines, si un danger imminent menaçait la paix européenne.

Le soir du jeudi, m’étant couché de bonne heure, je fus tiré de mon premier sommeil par les accens véhémens de l’or- chestre qui, en bas dans le parc, au bout de la colonnade, jouait l’hymne autrichien et le fameux chant de 1815 : « Deutschland, Deutschland über alles. » On le répétait sur un rythme chaque fois plus passionné. Des cris enthousiastes réclamèrent les hymnes patriotiques. Dans les allées, sous les grands lampadaires, des jeunes filles en blanc couraient vers la musique, taches blafardes sur le velours sombre des gazons. Enfin, des hommes, accourus de toutes parts, se mirent à chanter des refrains guerriers. Une tempête d’applaudissemens éclata. Un frisson inconnu secouait ces gens si paisibles quelques heures auparavant. Je m’étais dressé sur mon lit et à travers les rideaux entre-bâillés je regardais ce spectacle. En un instant, la certitude de la guerre m’apparut. Je me levai en hâte et, ayant entendu mon voisin, le sénateur belge, ouvrir sa porte, j’allai