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fait négligeables. Sans y attacher aucune valeur de style, la peine qu’il prenait d’en garder, au moins pour la plupart, le brouillon, ou la minute, atteste qu’il avait mis un soin égal à les écrire. C’est qu’en toute chose, dans sa vie comme dans son art (ceci contrairement à l’opinion commune). Verdi n’abandonnait rien au hasard, pas plus qu’au caprice. Ce grand passionné, ce grand impulsif même, eut au plus haut degré le goût, l’amour de l’ordre, de la méthode et de l’exactitude. Vous savez l’idéal que se fait, de la règle ou de la régularité, la sagesse populaire : « Comme un papier à musique. » Il n’est pas une question, pas une affaire, et d’aucun genre, avec ses éditeurs, ses impresarii, ses paysans ou ses voisins, que n’ait réglée ainsi, toute sa vie, le musicien de Falstaff et le propriétaire de Sant’ Agata. Notons, sans y insister, ce trait. Il achève une grande figure. Arrêtons-nous davantage aux autres, aux principaux, tels que les retrace la volumineuse correspondance. Elle est un portrait. Elle est une histoire aussi. Elle abonde en documens sur les œuvres du maître, sur son génie et ses idées esthétiques, sur son caractère particulier et public, ou national. Tel est l’objet de cette brève étude, tel en sera l’ordre et le partage.

Dans l’œuvre du musicien d’Italie, trois ouvrages fameux : Rigoletto, le Trovatore et la Traviata (1851-1853), forment ce qu’on pourrait nommer la trilogie populaire. C’est probablement à la Traviata que Verdi faisait allusion, quand il écrivait (en 1851), après avoir parlé du Trovatore : « J’ai tout prêt un autre sujet, simple, affectueux. » La même lettre, adressée à Cammarano, le librettiste du Trovatore, contient le scénario, revu et corrigé par le musicien, de ce livret obscur, et qui mériterait, entre tous les livrets d’opéra, le premier prix d’inintelligibilité. La figure la plus vivante en est assurément celle d’Azucena la bohémienne. Verdi trouvait avec raison un charme étrange, farouche, à cette âme de femme, tout entière en proie à ses deux amours, l’un filial et l’autre maternel. Il est intéressant de surprendre ici l’émotion provoquée chez le musicien par certaines paroles, qu’il cite, et de se reporter à l’expression, plus émouvante encore, que sa musique leur a donnée.

Curieuse, quand ce n’est pas comique, est l’histoire des démêlés de Rigoletto avec la censure (autrichienne) de Venise. Sous un titre changé : la Maledizione, mais avec les personnages du drame original, le poème tiré du Roi s’amuse fut d’abord interdit, comme attentatoire à la majesté royale et rempli de détails obscènes. Le coup fut sensible à Verdi : « J’avais commencé à étudier le sujet, à le méditer profondément,