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à bestiaux, note sur son carnet le fusilier R… À Creil, nous voyons des maisons brûlées par les Allemands. La nuit arrive ; on cherche à dormir, mais on ne peut pas. Il fait froid. Nous grelottons dans les wagons. » Mais voici un gros paquet de clarté, des feux verts et rouges et la rude haleine du large : Dunkerque. Une surprise y attendait la brigade : les ordres sont changés ; on ne descend pas et les trains de transport vont continuer « vers la Belgique, vers l’ennemi, » vers Anvers pour préciser.

Les hommes trépignent de joie. À la portière des fourgons, leurs grappes se pressent, acclament la terre belge dans une envolée de bérets. L’amiral est parti dans le premier train avec son état-major. En débarquant à Gand, dans l’après-midi du 8, il apprend que la voie est coupée au-dessus de la ville et que les six divisions de l’armée belge qui défendait Anvers ont commencé leur retraite sur Bruges : deux divisions sont échelonnées à l’Ouest du canal de Terneusen, trois à l’Est. Une seule division reste encore à Anvers, avec les 10 000 hommes des forces anglaises ; la cavalerie belge couvre la retraite sur l’Escaut, au Sud de Lokeren. Il n’est plus question d’entrer à Anvers, mais de coopérer à la manœuvre de repli avec les renforts anglais qui sont annoncés et les troupes de la garnison de Gand : l’ennemi, de toute évidence, va essayer de gagner dans l’Ouest pour investir l’armée belge épuisée par deux mois de luttes incessantes et que talonnent le long de la frontière hollandaise d’autres forces venues d’Anvers. Mais, pour que cette manœuvre d’enveloppement réussisse, il faut d’abord qu’il prenne Gand et Bruges où il lui eût été si aisé de s’installer un mois plus tôt et qu’il a volontairement dédaignés, certain qu’il se croyait de les occuper à son heure sans brûler une amorce.

Dès la fin d’août en effet, le corps d’armée du général von Bœhm s’était avancé jusqu’à Melle, à quelques kilomètres de Gand. Bien qu’il n’y eût trouvé aucune résistance, Melle, disait-on, avait été pillée et brûlée en partie ; les Allemands n’y avaient respecté que la distillerie où logeaient leurs troupes et qui appartenait à un Bavarois naturalisé. Pour prévenir une occupation effective de la ville, le bourgmestre de Gand, M. Braun, avait dû s’engager près du général von Bœhm à pourvoir au ravitaillement des troupes allemandes cantonnées à Beleghem. Contribution de guerre assez douce en somme. Mais on était