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XIIIe siècle. Le grand Pompée n’aimait l’Hermitage que pour rimer avec épée… Tandis qu’à Grenoble, j’étais dans l’hôtel même où logea Napoléon, — on me montra la chambre que garnissait encore le mobilier de l’époque, — je déjeunais dans la salle où il prit ses repas, en des circonstances mémorables, il y avait quatre-vingts ans : cela, c’était de l’histoire.

Lorsque je projetais une excursion à Laffrey, aux derniers jours de cet hiver, je ne prévoyais pas les événemens qui, si vite, allaient bouleverser le monde. Par une poignante coïncidence, nous assistons, pour le centenaire de 1815, à une lutte qui rassemble, contre un ennemi commun, presque tous les peuples de l’Europe qu’unit le même besoin de secouer une insupportable hégémonie ; et, par un de ces retours qu’aime l’ironique destin, une alliance franco-anglaise fête l’anniversaire de Waterloo. La guerre empêche mon pèlerinage guerrier. Comment voyager et goûter la joie des paysages changeans, alors que tant des nôtres sont immobiles dans les tranchées ? Attendons, pour recommencer à vivre, qu’ils soient sortis de leurs tombeaux.


La route de Laffrey s’élève au-dessus de Vizille, par une pente fort raide, sur le flanc du mont Connexe, et atteint rapidement le seuil de la Matheysine. Ce plateau, situé à près de mille mètres d’altitude, fermé à l’horizon par l’énorme pyramide de l’Obiou, encaissé entre une double muraille de sommets boisés, balayé par les vents qui déferlent des couloirs de la Romanche et du Drac, est un des plus rudes du Dauphiné. Des replis du sol y forment quatre lacs, d’un beau bleu foncé, qui, sauf pendant quelques semaines d’été, sont peu accueillans. Les longues chevelures des arbres et des roseaux fouettent l’onde que plissent et soulèvent les incessantes rafales. Comme autour de l’île où se bat Roland,


Le vent trempe en sifflant les brins d’herbe dans l’eau.


Du bord septentrional du plateau, on a une vue magnifique sur les massifs de la Chartreuse et de Belledonne. Le village de Laffrey, à côté du plus grand des lacs, n’offre aucun intérêt. Modeste villégiature estivale, rendez-vous de patinage l’hiver, son nom serait presque inconnu s’il n’avait été, il y a cent ans, témoin