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liberté de l’esprit et donnaient par leur vie l’exemple de l’humilité et du mépris des richesses. »

Ses dernières années furent toutes de méditation et de retraite ; elle vécut dans des couvens, à Rome et à Viterbe. Sa vie fut d’une sainte, et cependant, quelque dix ou vingt ans après sa mort, elle encourut véhémentement le soupçon d’hérésie ; les couvens où elle avait résidé passèrent pour contaminés ; on assura que Michel-Ange, qui avait cultivé son amitié, était devenu protestant à cause d’elle. Ceux qui aiment à le trancher net disputent encore au sujet de son orthodoxie, alors qu’il semble bien évident que la marquise fut, comme elle l’a répété souvent, « une très dévote fille de l’Eglise, » mais fort inquiète de son avenir si l’on ne mettait un terme aux erreurs qui le pouvaient compromettre.

Moins littéraire que Vittoria Colonna, mais plus belle (elle passait même pour la plus belle femme de son temps avec quelques autres), Giulia Gonzaga fut, comme la marquise de Pescara, une des protagonistes de la Réforme ; comme elle, elle était veuve, et le vide de son existence l’avait poussée aux méditations, aux spéculations, à l’examen des doctrines, à s’occuper des controverses qui troublaient alors les esprits. Elle fut une des disciples de Valdès. Un jour qu’elle sortait avec lui d’une église où Ochino avait prêché, elle lui exposa, tout émue encore des paroles qu’elle venait d’entendre, ses doutes et ses angoisses ; elle lui dépeignit toute la terreur qu’elle avait d’aller en enfer et son ardent désir de connaître quel était au vrai le moyen le plus sûr d’être admise au paradis. Et ces paroles montrent tout l’émoi que causait la prédication des moines novateurs et quelles préoccupations elles éveillaient surtout dans les âmes féminines. Valdès lui répondit que trois voies conduisaient à la connaissance de Dieu : l’Ancien Testament, la Lumière naturelle et le Christ. « Chaque jour, lui dit-il, employez chaque moment à méditer sur Dieu, sur vous-même, sur Jésus-Christ, sans vous astreindre à des pratiques superstitieuses. Ayez constamment devant vos yeux deux images, la perfection chrétienne et votre propre imperfection. » Assurément Giulia se détacha du Saint-Siège et de l’Église beaucoup plus que Vittoria Colonna ; elle écrivait plus tard à Carnesecchi : « Alors que la religion chrétienne était la nôtre… » ; elle correspondait activement avec lui en chiffre ; or Carnesecchi fut brûlé en 1567