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campagne, de la « guerre mondiale » à laquelle il prenait part : jusqu’au jour où les chefs, comprenant sans doute quels témoignages redoutables les auteurs fournissaient ainsi contre eux-mêmes, ont interdit de rien écrire. Tout ce qui s’écrit, tout ce qui s’imprime est représenté parmi ces papiers flétris ; et, si blasé qu’on soit pour en avoir vu tant et tant, des trouvailles viennent encore exciter la surprise, et défient la satiété.

Ce qu’on y trouve d’utile pour la conduite des opérations de guerre, je ne le dirai pas. Mais je puis dire ce qui s’y révèle de l’âme d’un peuple. Je crois assister à l’examen de conscience le plus complet et le plus sincère, entendre l’aveu le plus spontané et le plus ingénu. Les femmes restées au logis, les très jeunes et les très vieux que la guerre n’a pas appelés, parlent dans l’abondance de leur âme. Ils ne se soucient pas de littérature, ni d’effet à produire ; ils n’exagèrent pas, et ils disent tout. C’est la vie saisie dans son cours, si brusquement arrêtée qu’elle palpite encore. Un psychologue ne saurait désirer matière moins apprêtée, plus voisine des réalités mêmes. Les lettres adressées à ceux qui vont mourir ne sauraient être que des effusions de cœur : qu’on le demande aux mères. S’il est vrai que les réponses des soldats ne disent pas tout, par prudence, leurs carnets de route n’ont rien à cacher. Les intérêts, dont on avait fait le sacrifice au départ, renaissent avec âpreté ; les passions sont avivées par l’absence ; on cherche à fuir l’image d’un présent si instable, en poursuivant la félicité de demain ; les instincts s’affirment avec brutalité. Peu à peu les mêmes traits, se répétant, s’accusent ; sous la multiplicité des détails, les principes directeurs apparaissent ; ni les inégalités sociales, ni les différences de culture n’empêchent les caractères primitifs de se ressembler. Ce que nous avons là, c’est la confession de l’Allemagne.


Un soldat, arrivé en France le 13 octobre, écrit dans son carnet, le 15 : « Nous avons un jour de repos, que nous employons à chercher du vin, et autres délicatesses. Et voilà, à peu près à un kilomètre de l’endroit où nous logeons, un château, dans la cave duquel nous trouvons du vin en quantité surhumaine. Sur la route qui nous y conduisait, nous croisions déjà des soldats, avec trois bouteilles de vin sous chaque bras.