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soutenir les prétentions de l’Italie contre l’Autriche qui pourrait être amenée à céder Trente et Trieste aux Italiens, et à abandonner aux Allemands ses populations d’origine germanique. Quoique l’offre et les insinuations fussent tentantes, Bismarck se défia. Il fit l’homme satisfait. Pourquoi des conquêtes nouvelles ? Prendre des provinces catholiques à l’Autriche, n’était-ce pas se créer de grosses difficultés ? C’est ainsi que d’autres lui avaient parlé d’annexer la Hollande et le Danemark. A quoi bon ? « Nous avons, dit-il, assez de populations non allemandes pour en désirer d’autres encore. Peut-être autoriserait-on l’Italie à prendre l’Albanie, si l’Autriche prenait la Bosnie ? » Alors Crispi revint à la France. « Est-ce que l’Allemagne ne pouvait pas s’entendre avec elle ? — Une alliance est impossible, répondit Bismarck, et le désarmement plus encore ! — En ce cas, insinua Crispi, bornons-nous à un traité d’alliance pour le cas où la France nous attaquerait… — Soit, dit Bismarck, je vais prendre à ce sujet les ordres de S. M. l’Empereur. » Il parut conférer sérieusement avec son maître sur ces matières délicates, mais il se garda bien de prendre une décision qui lui liât les mains.

Il résulte de cette conversation que Crispi était, en 1877, hostile à l’Autriche comme à la France et que, pour arriver à ses vues, il offrait les dépouilles de l’Autriche et proposait de mettre les Français sous le joug des Allemands. Bismarck accueillait ces offres avec sa hauteur habituelle et, tout en facilitant une politique qui allait amener la formation de la Triple-Alliance, il se gardait encore de s’engager. Il avait dit en 1866, après Sadowa au moment des pourparlers de Nikolsbourg, quand il négociait la paix à lui tout seul : « Je me f… de l’Italie, » et à Busch, en 1877 : « Nous ne pouvons faire aucun fond sur elle ! » Mais, tout en s’exprimant en un langage presque insultant, il la mettait quand même dans son jeu.

Après la guerre russo-turque qui amena le traité de San-Stefano et donna à la Russie des avantages considérables, Bismarck imposa sa médiation et faisant remarquer que cette Puissance avait avalé plus qu’elle ne pouvait digérer, il dit qu’il fallait la soulager par un Congrès. On sait que le Congrès de Berlin, obéissant à son impulsion, réduisit singulièrement les succès de la Russie, substitua à son contrôle celui de l’Europe et chercha à la déposséder de toute suprématie en Orient.