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Un petit fossé fut creusé là, où maintenant la rame fait jaillir le flot. Ta haute pensée, l’activité des tiens ont su conquérir la terre et la mer !… »

La terre et la mer ! Après cela, Faust n’a plus qu’à mourir ; le rêve allemand est devenu une réalité.


Pourtant, une préoccupation ridicule mine la conscience du docteur et lui gâte la joie de son triomphe. A deux pas de son palais, il y a une petite enclave de terrain, que possède un vieux couple, Philémon et Baucis, dernier vestige des antiques habitans du pays. Avant que Faust vint tout bouleverser et tout transformer à son usage, lorsque la mer battait encore la dune, au pied de leur cabane, ces bonnes gens étaient gardiens de phare. Ils montraient la route aux vaisseaux égarés, ils recueillaient les naufragés et les voyageurs, ils étaient les apôtres de l’hospitalité, ne connaissant d’autre bonheur que celui de faire le bien. Sous le voile d’un léger symbole, qui ne devinerait, ici, la vieille religion détrônée par l’évangile des temps nouveaux, ce catholicisme, qui, lui aussi, pendant si longtemps, montra la route aux peuples et consola les malheureux ?

Ces bons vieillards sont devenus inutiles, depuis que Faust a éteint leur phare, en supprimant le danger de la mer. Cependant ils continuent à vivre d’une petite vie chétive. Ils cultivent leur jardinet, dînent sous les tilleuls centenaires qui ombragent leur cabane et, à l’occasion, hébergent encore quelque voyageur attardé. Le soir, par une ancienne habitude, ils sonnent la clochette de la chapelle rustique, où ils vont prier leur « vieux dieu[1], » avant de s’endormir.

Tout cela est intolérable à Faust. Les hautes cimes des tilleuls lui bouchent la vue du côté de la mer. La clochette imbécile l’exaspère. Et puis, enfin ce passé moribond, qui s’obstine à vivre, qui s’étale comme un anachronisme et comme un défi au milieu de son œuvre, toute cette décrépitude doit recevoir le coup de grâce. En vain le vieux couple se fait-il bien humble, se montre-t-il bien soumis au nouveau maître : « La

  1. Notons que cette expression n’est pas particulière à Guillaume II, comme on semble le croire, chez nous, dans la presse. Elle est très ancienne en Allemagne, et appartient à la langue courante.